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Association " Les Amis de nos Vieux Villages Haut Saonois". Recherche et communication sur le Patrimoine des villages de Haute Saône

PORT SUR SAÔNE, 1941 J'ETAIS CHARBONNIER!

Lorsque l'on trie de vieilles photos de famille on fait remonter à la surface le souvenir d'un monde révolu, mais... qui a bien existé ! 
...Des clichés retrouvés montrent des jeunes devant des baraquements en bois et travaillant dans la forêt. Au dos de l'une des photos, une inscription: " Port sur Saône, décembre 1941, j'étais charbonnier". Celui qui écrivait ces mots c'est Louis Robert Viney, aujourd'hui âgé de 97 ans. Originaire de Blondefontaine, il a vécu à Saint Loup sur Semouse où il a exercé successivement les métiers de boucher puis de débitant de tabac et de commerçant en jouets et maroquinerie.

Je lui ai demandé des précisions...

" Je me souviens très bien... Oui c'était en 1941, dans les forêts de Port sur Saône, j'avais vingt ans... Lyautey, maire de Port sur Saône avait fondé l'école du bois. On était volontaire. On pouvait y aller pendant un mois pour apprendre à bûcheronner, faire du charbon de bois pour gazogène, faire un peu de mécanique passer le permis de conduire poids lourd sur un camion LATIL à essence."

Camion LATIL FB6. Essence

Autre modèle: LATIL à gazogène  avec sa chaudière sur le côté.

Il poursuit:

" Ce n'était pas un chantier de jeunesse, il n'y en avait pas dans notre région qui, après la défaite de 1940, était classée en "zone interdite". Les chantiers de jeunesse étaient en zone libre. . A la sortie du stage, comme je le disais, on obtenait un diplôme de charbonnier et les permis poids lourd et transports en commun, ce qui était plus intéressant, même si à cette époque on n'avait pas le droit de circuler en véhicule automobile. Mon père qui était boucher avait dû demander un "Ausweiss" pour obtenir quelques bidons d'essence afin de pouvoir faire ses tournées avec son petit fourgon. "

 

Louis Robert est à droite. Sur la gauche on devine la cuve métallique dans laquelle on dressait les morceaux de charbonnette et le couvercle conique que l'on plaçait dessus pour que le bois se consume et donne du charbon de bois. Ensuite il fallait mettre le charbon en sacs"

 

 

Le groupe des stagiaires haut saônois   "Au chalet de la plage", décembre 1941

" Nous étions logés dans un bâtiments de l'Ecole des Gazogènes qui se trouvait non loin de la Saône canalisée et du port. Nous prenions nos repas dans un restaurant de Port sur Saône."

 

 

 

 

Restaurant "Au chalet de la Plage, chez Paul", Bière de Sochaux!

"...Il y avait également des jeunes de Nancy, du Val d'Ajol. Nous étions une bonne vingtaine.L'un d'entre eux avait acheté une belle casquette toute neuve de chauffeur et il avait oublié de retirer l'étiquette qui pendait derrière, avec la taille et le prix!... Nous nous sommes bien marrés jusqu'à ce qu'il comprenne notre amusement et fasse le nécessaire!" L'ambiance était bonne! ...Le soir après le travail il fallait bien se laver car nous étions noirs comme des ramoneurs!"

Pour aller plus loin:
André Lyautey

Lyautey, dont a parlé Louis Robert, était un maire influent de Port sur Saône:

André Liautey est né le 9 mars 1896 à Port-sur-Saône.

 Après le lycée Gérôme à Vesoul et la faculté de Droit à Paris, il suit les cours de l'école libre des Sciences politiques. Docteur en droit et diplômé d'études d'administration et financières, il succède à son père Paul à la mairie de Port-sur-Saône ainsi qu'au conseil général de la Haute-Saône en 1928. Il est élu sénateur en 1932, réélu en 1936 et devient le spécialiste incontesté de l'agriculture dans le parti radical. Léon Blum le nomme alors sous-secrétaire d'Etat à l'Agriculture. La sylviculture devient à tel point son cheval de bataille qu'on le surnomme «  le ministre de la forêt ».

Membre du Parti radical-socialiste, il fut député de la Haute-Saône de 1932 à 1940 et de 1951 à 1955. Il fut également, entre 1936 et 1938, Sous-secrétaire d’État à l’Agriculture dans plusieurs des gouvernements de Front Populaire. En froid avec le Parti radical à la Libération, il suscita, sous la IVe République la création du Rassemblement des groupes républicains et indépendants français, créé pour faire concurrence au droitier Rassemblement des gauches républicaines et au Centre national des indépendants et paysans.

Il décède en 1972.

 

 

C’est à l’issue de l’exposition universelle de Paris en 1937, axée sur les ressources de la forêt, qu’André Liautey fait « récupérer » les stands démontés pour les transplanter, sur péniches, à Port-sur-Saône, sa ville natale.

Il fera installer une station de gazogène, derrière la mairie, où sera formée une génération de mécaniciens spécialisés.

Il fera aussi venir, durant cette période, son ami Albert Decaris, qui va peindre le tout nouveau hall de la mairie de Vesoul.

Une des fresques de DE CARIS à la mairie de Vesoul

Marcel Jacamon, élève de l'E.N.E.F. raconte son stage à Port sur Saône:

1943

"...Mis à part deux camarades issus de l'École des Barres ayant le grade de Garde général et un Contrôleur des Colonies qui furent placés dans des services de l'Administration, les autres (10 de la 115e promotion et 3 de la 116') furent envoyés à Port-sur-Saône pour y effectuer un stage à « l'École du Bois et des Carburants forestiers >>.

La pénurie d'essence se faisait durement sentir . Mais bien avant les hostilités de 1939, le Ministère de l'Agriculture, et plus spécialement la Direction générale des Eaux et Forêts, avaient fait des efforts incontestables pour perfectionner aussi bien les ancestrales méthodes de la fabrication du charbon de bois que les techniques des moteurs à gazogène . Dès les premières difficultés de l'approvisionnement en carburant, l'Administration forestière s'était fait un devoir, en se donnant pour modèle, d'équiper ses véhicules ( . . . peu nombreux il faut bien le dire !) de la célèbre « marmite » fonctionnant au charbon ou directement au bois, « portée ,> ou parfois tractée ', qui transformait le chauffeur du Conservateur, ainsi que quelques Inspecteurs et Inspecteurs-Adjoints passionnés ( . . . mais contents), en hybrides de charbonnier et de mécanicien. (2) Mais, comme tous trois avaient oublié de se présenter au jour fixé, d'ultimes tractations, menaces et chantages.

 

....Récupérant certaines installations de l'Exposition internationale de 1937, où la forêt avait eu d'ailleurs une belle place, le Ministère les avait transportées à Port-sur-Saône, à 12 km au nord ouest de Vesoul . Il y avait aussi installé cette « École du bois et des carburants forestiers ». Pourquoi Port-sur-Saône ? Bien sûr : il y a de vastes surfaces forestières toutes proches, et surtout en taillis-sous-futaie tout désigné pour la carbonisation . . . mais il semble aussi que certaines personnalités étaient politiquement bien placées pour faire bénéficier la Haute-Saône de cette implantation. Pour les treize jeunes forestiers arrivant de Nancy, habitués aux contraintes de l'occupation particulièrement sévères dans les villes, soumis à l'École au régime frugal de la cantine, Portsur-Saône — ose-t-on le dire en cette période tourmentée et dangereuse pour tant d'autres — apparaissait comme une oasis de sécurité, de mieux vivre . . . et même de farniente. Nous y fûmes accueillis avec beaucoup de camaraderie par les Officiers forestiers du service local : M . Mourlot, Conservateur A Vesoul et M . Perruchon, Inspecteur à Vesoul également, spécialiste des gazogènes, et nous fûmes placés « sous leur bienveillante autorité «, comme on disait à l'époque. Ils offraient à notre admiration la magnifique Renault « Vivasix « de la Conservation, à gazogène évidemment .

Renault "Vivasix" de 1930.

. . avec toutefois, à titre de complément de secours, la possibilité de « passer « à l'essence pour les occasions difficiles ou les déplacements urgents. Les cours n'étaient pas trop astreignants, la discipline non plus d'ailleurs . . . nous avions connu pire ! On nous enseigna tout ce qui pouvait être enseigné sur les méthodes de carbonisation (meules anciennes et fours actuels, temps de cuisson, qualités respectives des essences forestières pour l'obtention du charbon), sur les principes du moteur à explosion et les particularités de son fonctionnement dans l'alimentation par gazogène, etc . ..

 

Les « travaux pratiques « tenaient une place importante dans cet enseignement — chaque après-midi — et nous faisaient affronter ces mécaniques charbonneuses et capricieuses . En effet, outre un atelier où des moteurs et des marmites coupés en long et en travers livraient à notre curiosité les dédales de leur complexité interne et de leur intimité, l'École disposait d'un parc automobile suffisamment diversifié — malgré la pénurie de l'époque — pour mettre entre nos mains une gamme comportant : motocyclette (à essence), voiture légère, camion, et même autocar. Les exercices de conduite se déroulaient en toute sécurité et sérénité sur les petites routes, bien peu fréquentées à l'époque, des environs de Port-sur-Saône. Les connaissances acquises — et les efforts fournis — au long de cet enseignement très spécialisé furent même sanctionnés par des examens, comme l'indique le « diplôme « qui nous fut délivré. À l'époque, les examens n'étaient jamais négligés et les élèves s'y prêtaient de bonne grâce . Quoi qu'il en soit, la possibilité nous fut donnée de passer toute la gamme des permis de conduire : motos (« avec ou sans side-car »), « tricycles à moteur «, voitures légères, poids lourds et même transport en commun . La réussite fut totale ! Cette panoplie en a étonné plus d'un par la suite et était propre à attirer la mansuétude de la maréchaussée dans l'éventualité d'un contrôle routier !

 

 

L'époque était aux restrictions et aux « cartes d'alimentation « ; les repas pris en commun au café du coin étaient appréciés pour les facilités offertes par l'approvisionnement local très rural. Mais la particularité du séjour résidait dans l'hébergement de nuit : nous couchions dans une péniche — à gazogène je pense — aménagée en dortoir et amarrée au bord de la Saône . Ce qui nous valait, en cette mi-juillet, des nuits fraîches mais bien fréquentées par les moustiques. La Saône avait heureusement un autre attrait : sa plage, son plan d'eau, et les baignades appréciées après de chaudes journées. . . et le maquillage à la poussière de charbon de bois !

Ainsi se déroula ce stage . Commencé le 19 juillet 1943, il se terminait le 30 juillet . Deux petites semaines : c'était bien court ! 593 Rev. For. Fr. XLV - 5-1993 M . JACAMON Ainsi treize Officiers des Eaux et Forêts, devenus plus tard Ingénieurs des Eaux et Forêts, puis Ingénieurs du GREF, se sont trouvés en outre « diplômés de l'École des gazogènes  Un diplôme mérité, un diplôme envié.". . .

M . JACAMON Missaire i 'e de la 116 ' promotion de I'ENEF Résidence du Cap Vert Rue du Haut de la Taye 54600 VILLERS- LES -NANCY Les camarades des 115' et 1160 promotions dont le sort fut moins heureux que celui des stagiaires de Port.

ref:http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/26459/RFF_1993_5_591.pdf;sequence=1

Zone libre, zone occupée, zone interdite:

La célèbre "ligne de démarcation" sépare la France en deux!

Le reste de cette vaste étendue de territoire "Zone libre" au nord et à l’est de la France occupée devient « zone interdite » ou « zone réservée »3. Elle comprend :

La plupart de ces territoires devenus « zones réservées » (notamment les régions de l'Est) étaient destinés à devenir des zones de peuplement allemand (Hitler souhaitant la constitution d'un « Pays thiois » germanisé jouant le rôle de zone-tampon à l'ouest de l'Allemagne).

 

Les chantiers de jeunesse:

Affiche de propagande de Vichy

Nés en juillet 1940 d’une volonté militaire et politique, les Chantiers de la Jeunesse deviennent l’organisation emblématique de l’État français. De fait, pour suppléer l’interdiction du service militaire, Vichy publie le 31 juillet 1940 une loi obligeant tous les citoyens masculins français âgés de 20 ans, résidant en zone libre, à effectuer un stage de huit mois au sein de cette organisation d’État. Présente uniquement en zone non occupée, elle se structure autour d’un commissariat général basé à Châtel-Guyon et se découpe en six provincesAlpes-Jura, Languedoc, Auvergne, Pyrénées-Gascogne, Provence... Les Chantiers sont la plus importante des organisations de jeunesse vichyste . On estime à quatre cent mille le nombre de jeunes et de cadres enrôlés entre 1940 et 1944. En véritable instrument idéologique, les Chantiers exaltent et glorifient les grands préceptes de la Révolution nationale.

Les juifs en sont exclus!

Construction du chantier de jeunesse de  Crotenay Jura

...Travaillant jusque-là pour l’économie française (fabrication de charbon de bois, travaux agricoles, etc.), les Chantiers vont être touchés à partir de l’année 1943 par la collaboration économique que Vichy intensifie avec l’Allemagne. De fait, l’instauration en février 1943 de la loi sur le STO frappe de plein fouet l’organisation, puisqu'à partir de ce moment, toute la classe d’âge de 1942, dont une partie est encore présente, est réquisitionnée pour travailler en Allemagne. Administrativement, cette décision amène un changement de tutelle ministérielle : dès le 5 mars 1943, les Chantiers cessent d’être rattachés à l’Éducation nationale pour passer, une partie sous l’autorité du chef du gouvernement, qui peut ainsi mieux les contrôler, et une autre partie à la Production industrielle. Une note du 4 février 1944 officialise ce choix : « Par décision gouvernementale, les Chantiers de la Jeunesse qui avaient essentiellement une mission d’éducation et de formation civique deviennent une formation de travailleurs encadrés destinés à exécuter des travaux d’intérêt Européen .»

À partir de ce moment, les Chantiers deviennent un réservoir de main-d’œuvre au service de l’économie de guerre du Reich!

Vive le sport!

 

Affiche de propagande faisant appel à l'Histoire de France...

Forge du chantier de jeunesse de Crotenay Jura.

Camp de Sauveterre de Cominges,1942

Chantier de jeunesse de Châtel Guyon.

 

 

Correspondance ( succincte!) avec la famille...

Une autre, qui brave la censure!

ref/https://www.moissey.com/ChanJeu3.htm

 

 

Un certificat de "moralité " et d"aptitude!

 

Pour conclure, le code pour une vidéo INA : film de propagande (30'') en faveur des chantiers de jeunesse:

https://www.ina.fr/video/AFE86002298/les-chantiers-de-jeunesse-video.html

Patrick Mathie, Février 2019

 

 

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