A Pusy, le château témoigne de l'oeuvre du créateur des départements français en 1790...

27.11.2021

En se rendant de Vesoul à Saint Loup sur Semouse on passe non loin du village de Pusy. Une pancarte indiquant un château peut inciter l'automobiliste à faire un petit détour...

Le château avec sa pièce d'eau et ses jardins à la française.

Le portail d'entrée

On a la surprise de constater que cette demeure, un peu massive, abrite la Mairie. Le château , de style néoclassique, n'affiche pas un décorum exubérant, si ce n'est l'existence de pièces d'eau géométriques et de jardins à la française. A vrai dire on est un peu déçu par cette sobriété qui traduit une certaine retenue de la part de l'architecte qui en a conçu les plans. Par contre, de là, s'offre une très belle vue dégagée sur la plaine de Vesoul dominée par la Motte!

Le petit salon semi- circulaire

L'admirable agencement de la voûte en pierre de la cave

Photos Est Républicain

De retour à son domicile on veut , malgré tout en savoir un peu plus sur cet édifice qui mérite -peut être- quelque intérêt.

On apprend qu'il a été construit entre 1775 et 1789 par Jean Xavier Bureau de Pusy né à Port sur Saône et qu'il a été donné à la commune de Pusy en 1991 par le comte Gilbert de Pusy-Lafayette.

Jean Xavier Bureau* de Pusy

* Jean Xavier signait "Bureaux"

En recherchant des informations sur celui qui fut "comte" on découvre un personnage de premier plan au niveau national et international au moment de la révolution française, dans l'entourage de La Fayette et qui avait des relations avec le 3ème président américain Thomas Jefferson, Talleyrand, Napoléon...

Faisons un peu plus connaissance avec cet homme dont le château ne reflète pas l'importance qu'il a pu avoir pour notre pays; il faut entendre ici, la France.

Fils d'un fonctionnaire du parlement de Dôle, il est né en 1750. Il entre à l'Ecole royale du Génie de Mézières dans la Meuse ( ancêtre de Polytechnique) c'est là qu'il se formera et obtiendra un diplôme d'ingénieur militaire.

L'ancienne Ecole royale du Génie, devenue Préfecture.

C'est en 1786 qu'il occupe un poste à la forteresse du château de Joux défendant le passage vers la Suisse.

"Il était capitaine du génie dans l'armée française en 1789, lorsqu'il fut élu député aux États généraux. Fervent défenseur des réformes dans divers domaines, il a été trois fois président de l'Assemblée nationale. À ce titre, il écrivit une lettre officielle à Thomas Jefferson le 6 juin 1791, contenant des déclarations de l'assemblée affirmant des relations cordiales entre la France et l'Amérique et appelant à un nouveau traité de commerce . Après avoir rejoint l'armée, Bureau de Pusy est à l'état-major de Lafayette lorsqu'en 1792, il est dénoncé à l'Assemblée pour avoir tenté d'organiser un mouvement de troupes vers Paris en soutien au roi. Libéré après avoir prétendu que ses actes avaient été mal compris, les Bureaux de Pusy désertèrent l'armée avec Lafayette en août 1792 et furent détenus par les Autrichiens jusqu'en septembre 1797". Ref: Jean Tulard, Dictionnaire Napoléon 1987.

Président de l'assemblée constituante en 1789

Président à deux reprises de l'Assemblée Nationale en 1790

Le découpage de la France en départements:

Afin de rompre avec l'ancien régime et la division en Provinces, l'assemblée constituante décide la création de départements dont la taille plus réduite permettrait une gouvernance plus rapprochée de l'Etat. Le projet est initié le 11 novembre 1789. Bureau de Pusy en est la cheville ouvrière. On donnera à ces nouveaux territoire des noms en rapport avec les lieux géographiques et l'hydrographie.

Le 19 septembre, le comité de constitution rend un premier projet qui se fonde sur une répartition géométrique (carrés) dont la superficie est égale. C'est en fait un damier "à l'américaine" qui ne tient pas compte des particularités géographiques .

Le 29 septembre 1789 le comité rend un nouveau projet qui, on le voit, a été remanié à la plume par Bureau de Pusy. La France est découpée en 83 départements.

La carte officielle dessinée par l'ingénieur Poirson

En 1990, pour le bicentenaire de la Révolution, à l'initiative de sa ville natale de Port sur Saône, on a créé un timbre et une marque postale à l'effigie de Bureaux de Pusy "Créateur des départements".

Le 30 septembre, Bureaux de Pusy signe le préambule de la déclaration des Droits de l'homme validée par la signature de Louis XVI:

Ref: Calaméo

Aux côtés de La Fayette

"Gilbert du Motier, marquis de La Fayette.

Né en Auvergne, Gilbert Motier, futur marquis de La Fayette, rencontre en secret Benjamin Franklin, venu plaider à Versailles la cause des Insurgents américains et, malgré l'opposition de sa famille, quitte l'armée et décide de rejoindre l'Amérique. Il a 19 ans quand il embarque le 17 avril 1777 sur la Victoire, une frégate affrétée à ses frais, grâce à une avance sur sa fortune.

Un an plus tôt, les Insurgents ont proclamé unilatéralement leur indépendance. Comme La Fayette, beaucoup de jeunes nobles européens ont pris fait et cause pour eux. Parmi eux le Polonais Kosciusko, le Prussien von Steuben, le Rhénan von Kalb...

La Fayette reçoit le grade de major général et devient le proche collaborateur et l'ami du commandant en chef George Washington. Il considère celui-ci comme un père. Comme les autres nobles européens, il va témoigner au combat d'une bravoure et d'un professionnalisme bien supérieurs à ceux des volontaires américains.

Au printemps 1779, il revient en France, où il plaide la cause de l'insurrection. Accédant à sa demande, le roi Louis XVI envoie un corps de 6 000 hommes outre-Atlantique sous le commandement du général de Rochambeau, avec le concours de la flotte du chef d'escadre François de Grasse.

La Fayette devance le corps expéditionnaire. Le 21 mars 1780, il embarque à Rochefort-sur-mer sur la frégate L'Hermione que lui a donnée le roi. À la tête des troupes de Virginie, il harcèle l'armée anglaise de lord Cornwallis et fait sa jonction avec les troupes de Washington et Rochambeau.

Les troupes anglaises sont bientôt coincées dans la baie de Chesapeake, dans l'impossibité de recevoir des secours par mer du fait du blocus effectué par la flotte de De Grasse. C'est ainsi que les alliés franco-américains remportent la victoire décisive de Yorktown le 17 octobre 1781." Ref: Herodote.fr

Le 10 Août 1792 des insurgés prennent le palais des Tuileries à Paris. La Fayette commande l'armée des Ardennes forte de 23 000 hommes aux environs de Sedan. Bureau de Pusy est capitaine du génie, sous ses ordres. La Fayette est démis de son commandement et souhaite passer la frontière belge avec un groupe d'officier pour se rendre en Hollande, pays qui n'est pas en guerre avec la France. A Rochefort, en wallonie, à environ 70km de Sedan il est reconnu.

La Fayette raconte ces évènements et décrit l'action de Bureaux de Pusy qui est à ses côtés:

Extrait des lettres du Marquis de La Fayette

Un monument a été érigé à Rochefort ( Belgique) en 1934, en souvenir du passage et de l'arrestation de La Fayette, Bureau de Pusy et d'autres officiers qui furent internés pendant cinq ans à Olmutz, en Autriche.

Ruines de la tour d'Olmutz dans laquelle La Fayette , Bureaux de Pusy et ses gens furent retenus prisonniers dans des conditions extrêmement sévères.

Il faudra attendre 5 ans pour qu'en septembre 1797 La Fayette et Bureau de Pusy soient libérés à l'occasion de négociations de paix entre le Directoire et les autrichiens battus au cours de plusieurs batailles par Napoléon Bonaparte.

Bonaparte, pont d'Arcole 1797. Tableau de Gros.

Bureau se rend à Hambourg. De là, mandaté par La Fayette qui s'est exilé en Hollande, il s'embarque pour les Etats Unis afin d' améliorer les fortifications de la rade de New York. Thomas Jefferson est alors le troisième président des Etats unis.

Thomas Jefferson

Lettre de La Fayette (traduction) à Thomas Jefferson:

"Bureaux Pusy pourra vous faire un compte rendu détaillé de la politique européenne - que les mesures réelles au sein de la République française, ou à l'égard de ses sœurs alliées ne sont pas conformes à mes principes est suffisamment démontré par mon absence - mais qu'il y a un La mauvaise combinaison des anciens gouvernements contre la liberté, l'humanité et le bon sens est un fait, pour moi, non moins évident-En Hollande, je me trouve, à tous égards, parfaitement bien-Les nouvelles élections en France sont généralement bonnes. Vulgarisez à nouveau la liberté, et établissez-la sur une vraie base républicaine, celle de la philanthropie, de la justice et de l'ordre juridique et moral !"

Depuis Philadelphie, Bureau de Pusy écrit une lettre au Président américain, dont voici la traduction:

To Thomas Jefferson from Jean Xavier Bureaux de Pusy,

9 December 1799

From Jean Xavier Bureaux de Pusy

Philadelphie, Ce 9 Xbre 1799

Monsieur,

J’étais Venu dans cette Ville, avec l’intention Et dans l’espérance de vous y rencontrer Et de vous y remettre les lettres, ci-jointes, de deux hommes qui S’honorent d’être de vos amis Et que je Suis honoré de compter au rang des miens. Je Serais bien heureux Si la bienveillance qu’ils ont pour moi pouvait être un acheminement à l’interet qu’ils Sollicitent de vous en ma faveur, Et au quel j’ai quelque droit, du moins par la Vénération que je vous porte. Des affaires indispensables me forcent à retourner à New York, avant d’avoir pu profiter des recommandations de MM. de la Fayette Et de Liancourt: mais j’espère voir bientôt arriver M. Dupont, (de Nemours) mon beau pere, et je Sais avec quel empressement il se hâtera de venir se rappeller à votre souvenir. Je n’attends pas avec moins d’impatience le moment de vous être prèsenté par lui Et de vous offrir Verbalement l’hommage de l’admiration Et du profond respect, avec les quels,

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, Votre très humble Et très obéissant serviteur

JX. Bureaux-Pusy

Le fort La Fayette dans le port de New York.

Napoléon Bonaparte consul, devenu empereur en 1804, fait de Pusy un Préfet. En 1801, préfet de l'Allier, en 1802, préfet du Rhône, en 1805 préfet de Gènes en Italie dont Napoléon a été sacré roi par le Pape, à Milan .

Pusy adresse à ses collègues préfets un exemplaire de sa signature et de sa griffe, ainsi que celle de son secrétaire général lorsqu'il devient préfet de l'Allier.

Le 5 mai 1805, il écrit à Talleyrand, ministre des relations extérieures à propos de la recommandation d'un solliciteur désirant être attaché à l'empereur et à la cour impériale:

Dans son courrier adressé au "diable boiteux" il ne manque pas de souligner qu'il fait partie du cercle de ceux qui rencontrent l'Empereur en personne et d'autres ministres:

"Je dois présumer parce que m'ont dit l'Empereur, le Ministre de l'Intérieur (le comte de Champagny) et Monsieur de la Vergilière (l'impétrant), que bientôt celui ci aura des remerciements à vous faire sur ce point".

Napoléon 1er en costume impérial par Jacques Louis David.

Bureau de Pusy, Préfet du département de Gênes en Italie:

Le département de Gênes se trouve entre Montenotte et Appenins.

Gênes vers 1810 (vue partielle). Ambroise Louis Garneray

Bureau de Pusy, en 1806 réussit à contenir une révolte des parmesans avec beaucoup de doigté mais aussi de fermeté.

Il décéda à Gênes en février 1806, ayant laissé derrière lui une oeuvre remarquable au service de la Nation.

On peut encore signaler, pour conclure, l'importance qu'il a eue en 1790 dans l'uniformisation des poids et mesures sur le territoire national en citant un extrait de son intervention à l'Assemblée, le 8 mai 1790. Les représentants demandèrent à ce que son discours complet soit imprimé et serve de référence aux décisions à prendre:

"Ce n'est point une idée nouvelle que celle de rendre les poids et les mesures uniformes dans tout le royaume. Depuis longtemps, tous les bons esprits désirent et attendent cet utile et sage établissement; nos pères en avaient senti la nécessité ; plusieurs fois, il a fait partie des instructions données par les peuples à leurs représentants aux Etats-Généraux : mais l'intérêt public et la raison même ont toujours été arrêtés par des intérêts particuliers, par des préjugés, peut-être par le défaut d'instruction nécessaire pour opérer utilement cette réforme: la diversité gothique de nos mesures s'est perpétuée, elle rend étrangères, les unes à l'égard des autres, les provinces d'un même empire, les villes, les campagnes d'une même province, quelquefois jusqu'aux différents quartiers d'une même cité; et, dans un âge de lumières, nous sommes encore gouvernés par des institutions absurdes, humiliantes, dont nos aïeux avaient déjà commencé à rougir dans des siècles d'ignorance et de grossièreté".

C'était bien un "grand homme" haut saônois!

Patrick Mathie 29.11.2021