LES CAHIERS DE DOLEANCES DE 1789. LE VOEU DE CHAMPAGNEY

17.01.2019

L’intervention des habitants de Champagney pour l’abolition de l’esclavage des Noirs dans leur cahier de doléances (1789)

par Elodie Lambert

EXTRAITS

Article 29 du cahier de doléances de Champagney. ADHS70

« En Franche-Comté, à Champagney, petite commune située à une vingtaine de kilomètres de Belfort, il existe depuis plus de 40 ans, un lieu de mémoire autour de l’esclavage des Noirs qui trouve son origine dans l’histoire même de ce village : « la Maison de la Négritude et des Droits de l’Homme ». Ce mémorial rappelle que, dès 1789, les habitants de Champagney se sont indignés de cette forme d’esclavage. A cette époque, l’esclavage des Noirs alimenté par la traite négrière était normal et légal. L’esclave n’était pas considéré comme un être humain mais comme un bien mobilier qui permettait de mettre en valeur les colonies d’Amérique...

A Champagney, les habitants ne sont pas directement touchés par cette question. Le village, situé à l’est du royaume de France dans le bailliage d’Amont (actuelle Haute-Saône) est éloigné non seulement des ports atlantiques d’où partent les navires négriers effectuant du commerce d’esclaves mais aussi des grandes villes où commencent à se diffuser les idées abolitionnistes sous l’impulsion notamment de la société des Amis des Noirs. Si la population de Champagney est essentiellement paysanne, elle se diversifie avec l’exploitation du charbon de terre à partir de 1750 qui génère de nouvelles activités économiques à l’image des verreries et des forges non seulement à Champagney mais également dans toute la vallée du Rahin...

Il y a tout de même un grand nombre d’exclus pour cette consultation populaire : femmes, colonies, esclaves et affranchis, juifs, pauvres et protestants. Ces cahiers pour la plupart rédigés en mars avril 1789 dans un contexte difficile – la disette, conséquence des difficultés climatiques sévit partout – offrent un éclairage extrêmement intéressant de la situation de la France à la veille de la révolution française...

Louis XVI distribuant des subsides lors de la disette de l'hiver 1788-1789.

Certes, ce cahier ne fut pas le seul à aborder la question de l’esclavage des Noirs. Si la société des amis des Noirs avait demandé à ce que le sujet soit traité dans les cahiers de doléances, elle ne fut pas entendue. Seule une soixantaine de cahiers ont abordé la question de l’esclavage des Noirs sur les soixante mille rédigés...

Affiche de la société des amis des noirs. Le symbole de la "toise" veut démontrer que noirs et blancs sont égaux

" "Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance, mais la vertu seule qui fait la différence". "

Le cahier de Champagney se démarque non seulement par sa localisation mais aussi par son contenu quelque peu prémonitoire puisque les habitants de Champagney annonçaient non seulement l’interdiction de cette forme d’esclavage mais aussi sa condamnation morale. Les idées philosophiques de l’époque à l’instar de celles prônées par Bernardin de Saint Pierre, l’auteur de Paul et Virginie, qui qualifiait le sucre et le café de plantes maudites, y sont développées. Le vocabulaire employé est riche et soutenu. Il ne s’agit pas du langage commun comme le montre la présence des mots « anthropophages » et « patrie ». L’empreinte de la foi chrétienne y est très forte. Elle prime sur tout le reste puisque les habitants de Champagney réagissent en tant que français mais encore plus en tant que chrétiens. Qui a su convaincre les habitants de Champagney dont les connaissances sur l’esclavage devaient être limitées, de la nécessité d’abolir l’esclavage ? La plupart d’entre eux étaient des paysans analphabètes qui n’avaient jamais quitté leur village...

Un article attribué à Jacques-Antoine Priqueler :

Le fondateur de la Maison de la Négritude, René Simonin a avancé l’hypothèse que les habitants de Champagney avaient bénéficié de l’apport d’un homme instruit, imprégné des idées abolitionnistes nommé Jacques Antoine Priqueler.

En 1789, âgé de 35 ans, il bénéficie d’un congé de semestre qu’il passe à Champagney. Présent au moment de la rédaction du cahier de doléances, il est élu député de Champagney à l’assemblée préliminaire du bailliage de Vesoul puis député du tiers-Etat à l’assemblée générale du bailliage d’Amont. Si on peut attribuer l’initiative de l’article 29 à Jacques Antoine Priqueler qui était en relation avec les milieux avancés de Paris et avec le cercle du duc d’Orléans, il est probable que les habitants de Champagney n’acceptèrent de faire passer cet article que parce qu’il recueillait leur adhésion et correspondait à leur sentiment intérieur".

ref: https://www.erudit.org/fr/revues/bshg/2015-n172-bshg02383/1035306ar/

Jacques-Antoine Priqueler:

Noble et officier de la garde du Roi, Jacques-Antoine Priqueler est né le 6 mars 1753 à Champagney (Haute-Saône) et mort en 15 février 1802 à Vesoul (Haute-Saône).

Fils posthume de Jean-Baptiste Priqueler (1696-1752), lieutenant de cavalerie au régiment de Rosen-Allemand, et de Marie-Thérèse Gobel, fille du procureur fiscal de Thann et sœur du futur évêque de Paris Jean-Baptiste Gobel. Il entre en 1771 dans les gardes du corps du roi, dont il est renvoyé le 12 septembre 1791 (dissolution).

... avant d'être intégré dans la Gendarmerie nationale en 1793 d'abord à Delémont puis à Porrentruy (dans l'ancien département du Mont-Terrible, actuellement en Suisse), puis à Vesoul.

Il fréquentait les milieux avancés de Paris et fut proche de la Société des amis des Noirs, un groupe humaniste, initié en Angleterre. Ainsi il put informer les habitants de Champagney du sort réservé aux esclaves.

Cela donna lieu à l'article 29 de leur cahier de doléances connu sous le nom de vœu de Champagney adressé le 19 mars 1789 au Roi Louis XVI afin de demander que soit mis fin à cette pratique.

Château de Champagney ayant appartenu à Jacques-Antoine Priqueler.

Emplacement du château, rue de la Houillère. Cadastre napoléonien.

La ville de Champagney a créé un Musée "Maison de la négritude et des droits de l'Homme" qui commémore l'esclavage et le voeu de Champagney de 1789.

Maison de la Négritude et des Droits de l'Homme à Champagney.

Patrick Mathie 17.01.2019