Association " Les Amis de nos Vieux Villages Haut Saonois". Recherche et communication sur le Patrimoine des villages de Haute Saône
Le récit qui va suivre met en scène des personnages qui ont existé, mais dont les actions sont fictives.
A Paris, barques, ponts de fortune et charrettes à bras tentent de rendre possible le déplacement des piétons!
Louis et Julie Marquet
Il avait commandé, par exemple, un couvre nuque pour un sous officier d'artillerie originaire de Lavoncourt, pendant la guerre de14 ...
* couvent des émigrés: (Après avoir passé de la maison de Vergy dans d'autres familles, notamment à des seigneurs qui portaient le nom de Lavoncourt, la terre de ce village se divisa en trois seigneuries: l'une dite d'Avilley, une autre de Lavoncourt, et la troisième d'Arsoncourt. Celle-ci tirait son nom d'une commanderie de Templiers qui était établie jadis au canton appelé Arsoncourt et à trois kilomètres Ouest de Lavoncourt.
Bien que ce couvent et les granges qui en dépendaient eussent disparu dès la fin du XVIIe siècle, les officiers de la justice seigneuriale de Lavoncourt n'en allèrent pas moins, jusqu'à la révolution de 1789, prononcer sur ce terrain des amendes contre les délits qui y avaient été commis. Carte de Cassini: le "Temple" de Lavoncourt) http://templiers.net/
Deux Empereurs à Lavoncourt. Reférence: http://www.lavoncourt.fr/IMG/pdf/Empereurs_Lavoncourt_V45233.pdf.
Tsar Alexandre Ier de Russie
Empereur François Ier d'Autriche
Prince de Schwarzenberg, Général autrichien
Au n°741 du cadastre Napoléonien: l'Auberge, relais de poste CLERC.
Au n°42 du plan d'alignement des rues, l'Auberge CLERC avec son avant cour fermée aujourd'hui disparue
Une malle poste à étage.
Rude situation pour un petitot de douze ans. Levé dès 4 heures et demie; jamais couché avant 10 heures, car il restait toujours une bricole à préparer pour le lendemain. Et le plus incroyable: un seul jour de repos par an. Le jour du Vendredi saint, évidemment. Le jour où tout honnête chrétien s'interdisait d'avaler la moindre bouchée de viande. Et encore!
l'apprenti ne disposait pas de sa journée entière puisque, à 5 heures du tantôt, il lui fallait rentrer pour soigner l'âne et le cheval avec lesquels le patron accomplissait ses tournées, et aussi les deux ou trois moutons promis à un prochain abattage. En revanche, on attendait que l'arpète endurcisse son caractère avant de l'obliger à participer au sacrifice des animaux".
REF:http://www.histoire-en-questions.fr/metiers/boucher.html
série de photos et documents anciens relatifs à la boucherie dans les années 1900
La ligne Gray Est/ Jussey Est des Chemins de Fer Vicinaux de Haute Saône.
maquignons.
Le Haut fourneau de VAUCONCOURT
La gare de Vauconcourt ver 1914
La gare de Vauconcourt en 2017.
DES DEMANDES D'INTERVENTION POUR DEPLACER LA VOIE FERREE DANS LA TRAVERSEE DE VAUCONCOURT...
Ce qui reste de la halte de Nervezain en mars 2018.
Récolte des betteraves
Le meilleur coupe betterave du monde est...belge!
Mais dans le nord de la France on sait faire aussi, une fois!...
La gare de Confracourt en 2018
Plans originaux du tracé de la voie CFV et de la gare de Confracourt .ADHS 70
La traversée de la route par la voie du CFV,
Plan de 1903 .ADHS70
La gare de Combeaufontaine version 1903
Plan type station CFV. ( ADHS 70)
Plan de 1910
La gare après 1910. On voit bien les deux bâtiments ajoutés de part et d'autre de la gare d'origine. A gauche, au fond, derrière le toit du premier bâtiment, on devine le talus sur lequel passe la nouvelle ligne Vesoul-Molay, qui après une longue courbe à gauche se dirige vers la gare de Gourgeon. La ligne Gray- Jussey continue tout droit en direction d'Arbecey.
Vestiges de la ligne de Vesoul à Molay à la sortie nord de Combeaufontaine. 2018
Vestiges de la ligne de Gray à Jussey à la sortie nord de Combeaufontaine.2018
La gare de Combeaufontaine en 2017.
Les hôtels, cafés et restaurants sont assez nombreux dans le village au regard de la circulation locale, nationale et internationale..
Les enfants posent devant l'hôtel du Balcon en partie caché par la fontaine lavoir aujourd'hui disparue.
Hotel, Restaurant, transports et déménagements... Jules Vannier.
à suivre...
Les voyageurs qui se rendent dans la direction de Molay ou de Vesoul vont pouvoir emprunter la toute nouvelle ligne reliant ce village à l'agglomération vésulienne. Pierre BOUDOT le représentant en vins, Emile MALLET le maquignon et Monsieur ESTIENNEY constructeur de machines agricoles, sont arrivés à destination; mais avant de se rendre à leurs rendez vous respectifs ils ne manqueront pas de marquer un arrêt au café qui fait l'angle entre la nationale n°19 et la rue de la gare et dont l'enseigne indique logiquement "Café de la Gare"...
La Louise VEJUX, le couple LAMARCHE et leur bonne Léontine qui se rendent à Vesoul n'ont pas à se presser, leur correspondance n'est prévue qu'à 12h35, c'est dire qu'ils auront du temps avant d'embarquer!
Ils mettront à profit ce long moment d'attente pour rendre visite à des connaissances. Pour Louise ce sera sa collègue couturière Madame CLERGET. Les LAMARCHE, eux iront chez LABADIE; Monsieur est percepteur et Madame une maîtresse de maison accomplie. Ils se sont rencontrés chez un ami commun Gustave BOUVAIST ingénieur des ponts et chaussées, celui là même qui a conçu les plans de la gare des CFV de Vesoul. Le percepteur ayant donné quelques judicieux conseils fiscaux au rentier, les LAMARCHE et les LABADIE avaient sympathisé et se rencontraient assez régulièrement chez les uns ou les autres ou dans la maison familiale des BOUVAIST (un château!) à Navenne.
Le plan de la façade de la gare de Vesoul et château de Graisse, propriété des Bouvaist à Navenne.
-Dépêche toi Madeleine, s'écrie Madame MARQUET, le train de Molay est déjà là, il ne va pas nous attendre 15 jours!...
-Oui, oui maman, mais il faut que je relace mes bottines, les lacets se sont desserrés! ...
A peine a- t- elle mis pied à terre que la jeune fille relève ses jupes jusqu'au genou et se penche pour remettre de l'ordre dans sa tenue. Les employés de la gare qui transfèrent les colis et bagages d'un train à l'autre jettent un oeil furtif -mais amusé-. sur l'adolescente, sa posture et sa juvénile anatomie... Madeleine, au passage, reconnaît sa malle qui disparaît promptement dans le fourgon.
Les deux femmes doivent faire attention de ne pas se tordre les chevilles sur le ballast tout neuf de la nouvelle voie qui a été inaugurée quelques jours auparavant. Les wagons sont neufs, eux aussi, de même que les rails dont la rouille superficielle n'a pas encore été poncée par le passage des roues métalliques. Aidées par un employé elles grimpent dans le wagon. A peine se sont elles posées sur une banquette que le train démarre non sans avoir lancé quelques coups de sifflets. Il est 7h04. Sur son registre, le chef de gare notera que le train de Molay est parti avec deux minutes de retard. Par téléphone il en informe son collègue de la gare de Gourgeon.
On dirait que le train peine à choisir entre les 6 voies de la gare de Combeaufontaine, il avance prudemment, hésite, puis guidé par l'aiguillage manoeuvré par un employé, le voilà qui emprunte la grande courbe nouvelle qui l'éloigne peu à peu de la ligne rectiligne qui conduit à Jussey.
On se rapproche peu à peu de la route qui conduit à Arbecey. Un pont de 6 mètres d'ouverture a été construit pour permettre le passage de la voie ferrée au-dessus de l'axe routier. Madeleine regarde par la fenêtre du wagon. Elle rit en voyant un cheval tirant une carriole: il se cabre au passage du bruyant convoi qui passe au-dessus de lui dans un bruit d'enfer amplifié par le pont métallique, en crachant des jets de fumée noire. Le conducteur a bien du mal de maîtriser la situation et jure en maudissant sa bête... et le train!
La voie toute neuve et maintenant rectiligne passe dans les champs, derrière l'alignement des maisons de la rue principale. Le train qui venait à peine de se lancer ralentit déjà. Il siffle plusieurs fois en arrivant au croisement avec le chemin de grande communication numéro 3 qui part vers Jussey. Il s'arrête à la halte toute neuve, elle aussi. Un couple d'âge mûr monte dans le wagon. L'homme soulève son chapeau pour saluer les quelques voyageurs qui lui rendent son salut. La dame choisit une place près de la fenêtre en vis à vis des deux lavoncourtoises. Madeleine et sa mère apprennent qu'ils habitent la maison qui se situe en face de la halte, juste de l'autre côté de la voie. Pour eux, cette nouvelle ligne est une aubaine car, disent ils
-Nous pourrons rendre visite plus souvent à nos cousins de Malvillers. Avant nous y allions à bicyclette, mais à notre âge ça devient de plus en plus difficile de presser sur les pédales! Le seul inconvénient c'est que nous entendons passer les trains six fois par jour, mais bon, il ne faut pas aller contre le progrès et en voir les avantages!
Madeleine et sa maman acquiescent d'autant plus qu'elles n'ont pas à subir, elles, les inconvénients de la gare de Lavoncourt qui se trouve à bonne distance de leur maison!
La halte de Combeaufontaine et le tracé de la voie, en 2018.
Pendant les échanges entre les passagers le train a redémarré. A la sortie de Combeaufontaine, le voici qui emprunte maintenant la voie qui a été tracée en bordure de la route nationale 19.
A gauche se dresse la masse verte des bois du Rosaire et du Champ Ramey. A droite, les champs dans lesquels on s'active pour la récolte des betteraves fourragères et au fond, le petit bois au nom sinistre: le bois de l'Homme Mort! On peut imaginer qu'un homme, pourquoi pas un colporteur, ait été détroussé et assassiné à proximité du bois situé sur le territoire de la commune de Gourgeon et en bordure de celle de Semmadon...
Un colporteur au XVIII ème siècle.
La station de Gourgeon. En contrebas on aperçoit une partie du ruban blanc de la nationale 19.
La gare cfv de Gourgeon en 2018.
Après avoir franchi les 3 kilomètres de voies sur le bas côté de la route, le train bifurque légèrement pour entrer à la station de Gourgeon .Il est 7h16, Le chef de gare est présent. Il consulte sa montre. Parfait , le train est à l'heure! Il est vrai que Joseph Ernest Kaltambak ,né à Broye les Pesmes en 1870, avant d'être chef de gare, avait été gendarme en Nouvelle Calédonie et Outre mer ... la rigueur, il connaissait!
Arrivé en 1898 sur l'île, il s'était marié , la même année à Nouméa avec Blaisine Dossat. Le conseil de Gendarmerie avait donné son accord. Ils avaient eu deux filles Alice Jeanne, née en 1899 à Nouméa, puis Germaine Paula née en 1902 à Papeete où il avait été muté. Malheureusement Blaisine était décédée aux Ïles Marquises, dans l'île de Ua Pou, à Hakaetau en 1905.
Ile de UA POU
Il était donc rentré en France et avait épousé Marie Henriette Blanchard, originaire de Narbonne, en 1906 comme mention en est faite sur son acte d'Etat civil. Son passé de gendarme avait certainement facilité son accesion au grade de chef de gare des CFV.
Registre d'Etat civil de Broye les Pesmes
Recensement de Cornot 1911
Marie Henriette exerçait la profession de brodeuse pour la maison Boudot à Chargey les Port. Comme beaucoup de brodeuses de l'époque elle devait travailler à la maison. On lui apportait le fil et les modèles et on venait récupérer la broderie terminée. C'était un salaire s'appoint qui n'était pas négligeable.
Les Boudot, brodeurs, travaillaient en famille sous la direction du "patron", Joseph!
Recensement de Chargey les Port en 1911.
Une autre famille Boudot avait une entreprise d'instruments de pesage.
Un chef de gare des CFV,., en tenue, au centre, tenant son drapeau, ici à Champagney.
Gourgeon est avant tout connu pour la source de la Gourgeonne , une résurgence qui se situe au bas du village. Elle a été aménagée pour servir d'abreuvoir et de lavoir champêtre pour les ménagères. Le ruisseau va parcourir une trentaine de kilomètres en variant la direction de son cours en fonction du relief. La Gourgeonne se jettera dans la Saône à Recologne les Ray, non sans avoir au passage fait tourner une bonne dizaine de moulins à farine, dont deux se trouvent sur le territoire gourgeonnais.
La source de la Gourgeonne
L'église domine le village.
Gourgeon centre. La source figure en bleu. ADHS70.
Ce que l'on sait moins c'est que le village est lié à l'histoire napoléonienne. Début 1814, les troupes coalisées contre Napoléon 1er, après avoir passé le Rhin à Basle (sic) se sont divisées en trois groupes d'armées dont l'une comprenant essentiellement des autrichiens, des prussiens et des russes. Les colonnes ont emprunté la route impériale 19 qui relie encore de nos jours la ville suisse à la capitale française en passant par Vesoul, Port sur Saône, Combeaufontaine, Langres...
Ayant la "malchance" de posséder un grand plan d'eau potable avec sa source, Gourgeon a été un bivouac privilégié par les envahisseurs. Les deux moulins produisant de la farine, les champs et les vergers accueillants ont constitué des ressources de choix pour l'intendance militaire des coalisés. Outre les exactions coutumières (!) les troupes ont apporté avec elles le typhus contracté en Allemagne, fin 1813. On sait que près de 1 500 000 soldats sont passés sur la route ( chiffre donné par un administrateur militaire autrichien) ou ont stationné à Vesoul, alors "capitale" d'un Etat * dirigé par un suisse le baron d'ANDLAW. Pour ces raisons, on comprend mieux que le chiffre des décès dans la population gourgeonnaise soit monté en flèche en 1814, pour atteindre plus de 105 morts soit le quart de la population! Touq les villages situés sur l'axe routier ont été touchés, mais c'est Gourgeon qui en a le plus souffert en proportion de sa population!
* Vesoul, capitale d'un Etat qui comprenait la Franche Comté, les Vosges, les principautés de Montbéliard et de Porrentruy.
Gourgeon.Atlas cantonal.ADHS70
Troupes autrichiennes
Les malheurs de la campagne de France en 1814, par le peintre Vernet.
Acte de décès d'un soldat autrichien, sur les registres de l'Etat Civile de la Mairie de Gourgeon. ADHS 70
Madeleine semble préoccupée elle regarde alternativement par la fenêtre du wagon à l'arrêt et vers le couloir, la mine défaite. Sa mère s'en aperçoit et l'interroge
- Ca ne va pas Madeleine? Tu n'as pas l'air bien...tu es malade?
- Non, non je ne suis pas malade, ça va, Maman!
- Je vois bien que ça ne va pas! Qu'est ce que tu as?
- Rien, mais rien....
- Allez! quand je te vois comme ça toute renfrognée je sais que tu as un problème, dis moi..
- Ben.... c'est que j'ai un peu peur parce que Gaëtan m'a dit qu'on allait passer sur un immense viaduc après la gare et il m'a dit qu'un client de la boucherie lui avait dit que c'était très impressionnant avec le vide en bas!
-Ah! c'est pour ça, lui dit sa mère, l'air faussement détachée, en fait on ne risque rien il y a des barrières de chaque côté paraît il. Ne t'en fait pas!
En réalité Madame Marquet n'en mène pas large, elle aussi a le vertige! A la boucherie quand elle doit faire les vitres et qu'elle grimpe sur l'escabeau, la tête lui tourne et ses jambes flageolent...alors passer sur un viaduc a plusieurs mètres du sol!
Sur ses entrefaits un ecclésiastiques accompagné d'une dame portant encore bien la cinquantaine vient s'installer dans la rangée de sièges voisine, à hauteur des deux femmes. C'est le père Alexandre MOUSSARD et sa domestique Marie Rose PELLETIER qui se rendent eux aussi au pensionnat de MOREY. Le prêtre doit y célébrer une messe ordinaire l'après midi.
L e curé MOUSSARD ( Alias curé d'Andresy. ref:histoire.andresy.free
- Monieur le curé, demande, Madame Marquet, vous avez déjà pris le train pour Morey ?
- Non, ma fille, ce sera la première fois!
- Ah bon? tant pis alors!...
- Qu'auriez vous voulu savoir?
- Je ne sais pas si j'ose?
- Dites toujours, répond le prêtre
- Eh bien, voilà, nous...je veux dire ... ma fille Madeleine a peur de passer sur le viaduc à la sortie de la gare et j'aurais aimé savoir si c'était si impressionnant qu'on le dit?
- Je ne peux vous répondre personnellement mais un de mes paroissiens qui a emprunté la nouvelle ligne m'a dit qu'il ne fallait pas avoir le vertige!
La bonne du curé ajoute:
- Ah oui alors! moi je suis allé au pied du viaduc après une visite à la chapelle, près du cimetière c'est haut! très haut!
- Allons allons, ne nous effrayons pas pour si peu! le Seigneur nous accompagne! Tenez ( il sort de sa poche deux images pieuses qu'il remet aux deux femmes) faites une petite prière et tout ira bien!
...Dire que l'image pieuse remise par le curé rassure Madeleine et les deux femmes serait exagéré. Mais elles s'exécutent en marmonnant un "Notre Père" et un "Je vous salue Marie. La présence de l'ecclésiastique leur donne, malgré tout , un peu de réconfort.
Les autres passagers ne semblent pas avoir d'inquiétude, ils continuent leurs discussions et confiants, regardent à l'extérieur par les fenêtres dont les vitres ont été baissées .
Les portes qui se referment claquent comme le couperet de la guillotine qui s'abat sur le col du condamné. Le chef de gare siffle et agite son drapeau. C'est le signal du départ! Le convoi s'ébranle. Madeleine est en route vers son destin!
Gourgeon se situe à la confluence de petites vallées sur les flancs desquelles de nombreuses carrières sont exploitées. Quelques centaines de mètres après la gare, le terrain s'incline dans une combe. Les ingénieurs ont donc été obligé de construire un viaduc, le fameux "pont des Combes" qui enjambe ce grand creux que certaines des voyageuses pensent être un précipice! Ses proportions en sont néanmoins imposantes: 3 arches de 8 mètres d'ouverture, une longueur de 32 mètres et une hauteur respectable de 14 mètres!
Le train approche de l'ouvrage d'art. Le mécanicien a réduit la vapeur afin de s'y engager à petite vitesse comme le prévoit le manuel des chemins de fer vicinaux. Dans le wagon l'angoisse monte chez les protégées du curé alors que les autres passagers tendent le cou pour tenter d'apercevoir les arches; mais comme la voie est rectiligne ils ne voient rien!
Soudain le train se trouve comme propulsé dans les airs. A gauche et à droite, c'est le vide! Ca y est ils passent sur le viaduc!
- Oh mon Dieu! s'exclame Madame Marquet
- Jésus Marie! surenchérit la bonne du curé
- Allons, allons ne vous affolez pas! dit sentencieusement l'homme d'église, nous ne risquons rien!
En bas , sur le chemin, des passants qui paraissent minuscules, lèvent la tête au passage du convoi et échangent des signes de la main avec les autres passagers qui s'agglutinent, joyeux, aux fenêtres du wagon. Une antique charrette tirée par un cheval placide passe en contrebas, sur la route de Paris... Symboles de deux mondes qui se croisent l'un au sol, l'autre dans les airs...
La locomotive a franchi le vide, les wagons suivent sagement " à la queue leu leu", le fourgon fermant la marche. Le convoi est passé sans encombre!
Pendant tout ce temps Madeleine est resté prostrée, recroquevillée sur son siège afin de ne pas voir l'extérieur, un mouchoir plaqué sur sa bouche pour étouffer sa peur.
- Ca y est, tu peux t'asseoir normalement maintenant, on est passés! dit doucement sa mère.
- Mais oui Mademoiselle, n'ayez crainte, c'est fini! ajoute Alexandre Moussard, le curé.
Encouragée par ces paroles réconfortantes, la jeune fille se redresse, ses traits se détendent. Elle réussit même à esquisser un sourire... Elle risque un oeil à l'extérieur: les arbres bordant la voie défilent, dans les pâtures proches les vaches broutent paisiblement; le bruit régulier des roues claquant sur le raccordement des rails est même devenu apaisant...Tout rentre dans l'ordre ... sur la terre ferme.
Le viaduc des Combes dans toute sa majesté en... 2018!
Une seconde jeunesse pour le viaduc: mur d'escalade. ( Madeleine ne s'y aventurerait certainement pas!)
7h18. Le train poursuit sa course (à vitesse réduite quand même!) vers la station de Melin Lavigney. La voie est en accotement de la route n°19. Si elle dépasse les lentes charrettes hippomobiles et les cyclistes, la machine à vapeur ne peut rien contre les quelques voitures automobiles qui avalent le revêtement caillouteux à presque 50kmh en éjectant derrière elles des nuages de poussière. Quant aux motocyclettes et side cars leurs pétarades et la fumée blanche qu'ils dégagent fait fuir les poules qui picorent imprudemment à proximité de la chaussée!
Automobile Mors. 1900
Side car.
Station de Melin Lavigney (ADHS70)
La gare de MELIN-LAVIGNEY se situe en bordure de la route nationale, à égale distance des deux villages. Elle offre la particularité d'avoir un étage pour le logement du chef de gare, ce qui est rare dans les stations "de campagne".
Ce qui est remarquable aussi c'est que le chef de gare est une femme ! Si BELOTTE est son nom,elle porte le joli prénom d'Isabelle. Son mari Albert, lui, est chef d'équipe des chemins de fer. Ils ont 3 enfants: Louise, Marcelle et le petit dernier, âgé de 2 ans: Robert.
Melin,Recensement de 1911. (ADHS70)
Mais ce n'est pas la seule "cheffesse" de gare a être employée à ce poste par les C.F.V. A Morey, Janne CAMUS remplit cette fonction. Dans le département du Doubs il en est de même:
"En effet, dès la deuxième année d’exploitation du tacot, en 1906, c’est bien une femme qui occupe le poste : Caroline Adeline Gagnon (Montbéliardot, 26.09.1856 - ?). Son mari Léon Fiquet (Les Fontenelles, 19.02.1857 - ?) est poseur. Le couple est à la commune jusqu’en 1908. En 1909, Charles Eugène Constant Vuillemin (Bonnetage, 23.02.1876 - ?) est poseur mais le nom de sa femme et donc de la cheffesse n’est pas connu pour l’instant. En 1910 et 1911, Cécile Marie Gabrielle Voisard (Charquemont, 17.03.1882 - ?) est «cheffesse de gare. Son mari, Gaston Léon Paul Robert (Noël-Cerneux, 06.11.1884 - ?) est poseur. Pendant leur séjour à La Chenalotte, le couple a deux enfants : Geneviève Marie Madeleine (29.03.1910 – 03.03.1994) et André Joseph Léon Robert (07.05.1911 – 13.09.1993) " ref: chenalotte.org
La période de la grande guerre amplifiera ce mouvement naissant.
Parmi la population Melinoise, en 1911, on compte un ingénieur: Jules Auguste MASSON. Il a "vu du pays" puisque sa femme Marie Louise Clémentine est originaire de Quimperlé et que deux de ses enfants son nés outre mer. Il faut dire aussi qu'il était ingénieur et officier colonial!
Jules Auguste Masson décédera en 1951 ou 1956, selon les sources, à Tanger au Maroc.Ses deux fils Maurice et Fernand mourront la même année en 1978 à un mois d'intervalle, l'un à Neuilly et l'autre à La Celle Saint Cloud. Le troisième Albert Désiré partira en Espagne puis en Amérique du Sud. On dit qu'il aurait participé à des courses automobiles à Indianapolis...
Au lieu dit "Bois Bouquet on a retrouvé les vestiges d'un atelier sidérurgique gaulois ainsi que des constructions avec des mosaïques et des fragments de poteries romaines.
Le château:
Sur le cadastre napoléonien le château apparaît avec sa structure carrée entourant une cour intérieure. Il dispose d'une tour ( encore visible de nos jours) . On note la présence des vestiges des douves d'une largeur de 10 mètres( en bleu) qu'enjambait un pont.
Le château seigneurial de Melin appartenait au début du XIIIème siècle à la famille du sire Aymon de Melin. (1218) . Il passa ensuite aux Ferrières puis aux Aigremont et aux Flatterans en 1560. Cette famille le céda aux bénédictins de Morey en mars 1871. La seigneurie se partagea entre seigneurs laïcs et l'Abbaye de Cherlieu jusqu'à la révolution.
Ref: Gerard Delaître-Pascal MAGNIN "La ligne du tramway Vesoul-Molay" Editions de Haute Saône et Franche-Comté.
Le château de Melin aujourd'hui.
Les 5 étangs étagés de Melin, dont deux sont encore en eau, ont été conçus pour permettre l'installation d'une tannerie, de la pisciculture et le fonctionnement de deux moulins. On peut penser que leur édification remonte à la fin du moyen âge et qu'ils ont été creusés à l'initiative de moines, comme c'était souvent le cas.
Les étangs. Cadastre napoléonien ( ADHS)
L'Ecole des filles de Melin. Plan tracé par l'institutrice en 1888 afin de préparer la partie de l'exposition universelle de Paris en 1890 consacrée au savoir faire français en matière d'Education.
Comme beaucoup de villages, Melin possédait une coopérative laitière qui fabriquait du gruyère. Elle a cessé de fonctionner vers 1987 et les bâtiments ont été démolis. Seuls restent les clichés de ces temps révolus.(Ref: Gerard Delaître-Pascal MAGNIN "La ligne du tramway Vesoul-Molay" Editions de Haute Saône et Franche-Comté.
Le fromager en action: Monsieur Combrousse.
La date de fermeture indiquée se réfère à la date de parution du livre: 2002
Le Café- Epicerie:
Il était tenu par Georges Macheras. Le véhicule stationné devant le bâtiment pourrait être une "Quadrilette" Peugeot....
Melin aujourd'hui peut s'enorgueillir de posséder une particularité exotique: La ferme de Ligny élève des bufflones et produit de la mozzarella!
L'élevage de bufflones de la ferme de Ligny à Melin. 2018. Photo "La France Agricole"
Dans les années 1900 Lavigney a déjà perdu près de la moitié de sa population qui s'élevait à 400 habitants lors du recensement de 1793.
La commune est essentiellement agricole. Le village se répartit en trois quartiers: le quartier de l'église, le quartier du Grand Pont avec son artère principale la rue du Grand Pont et le quartier du Petit pont.
La Mairie, l'église et son cimetière, le presbytère et l'école se situent au centre .Le village est bordé par le ruisseau. ADHS 70
Plan d'alignement des rues. ADHS 70
La rue du Grand Pont .ADHS 70
Rue du Petit Pont .ADHS 70
La rue du Petit Pont animée.
On a exploité la force motrice du ruisseau qui coule au sud et à l'est du village pour établir des moulins: le moulin Balans et le moulin Goblet , ce dernier donnant son nom en 1850 à une rue du village.
Le recensement de 1911 dénombre 216 habitants. Ce sont essentiellement des cultivateurs qu'ils soient fermiers ou "patrons". On trouve quelques couturières et brodeuses qui travaillent à façon" pour des patrons-brodeurs.
Deux épiceries approvisionnent le village: celle d'Hypolite et Marie MOUREAUX et celle tenue par Joseph BAGUE et sa femme Marie.
Une épicerie de village
. Musée Demard de Champlitte.
L'aubergiste de Lavigney se nomme Léon MARCHISET. Il réside dans sa maison de la rue de Betoncourt les Ménétriers avec ses deux filles ses deux gendres et sa petite fille. Son épouse est décédée.
Café-auberge d'un village haut saônois reconstitué au Musée Demard de Champlitte
Un forgeron fait chanter son enclume: JAMAIS Paul, âgé de 27 ans. répare les roues ferrées des charrettes, les socs de charrues et ferre les chevaux.Sa femme Jeanne lui a donné un fils, René qui va sur ses 3 ans.
Un forgeron.Celui ci répare peut être les fourches de vélo....
Le curé du village vit au presbytère avec sa soeur Marie, d'une année sa cadette. Né en 1851, Jules POUSSEY l' a employée en qualité de domestique.
Un citoyen helvétique* habit et travaille au village, c'est le fromager Robert FRIEDEN né à Walhern, dans le canton de Berne, en 1877.
Il travaille pour la fromagerie LECORNEY et fabrique des gruyères. L'entreprise LECORNEY Camille possède aussi deux autres fromageries l'une à Gourgeon et l'autre à Bougey.
* "L'émigration des fromagers n'est pas organisée ; elle résulte d'une multitude d'initiatives individuelles. Ils viennent des cantons montagnards : celui de Fribourg pour la première vague, puis ceux de Thurgovie, de Saint-Gall et surtout celui de Berne. Dans ces régions aux potentialités agricoles réduites, l'émigration est une réponse à la pauvreté et au manque de travail. Le plus souvent, les migrants sont jeunes et célibataires ; ils partent seuls ou à deux, ainsi qu'en témoigne l'histoire de ce fromager installé en Haute- Savoie : né en 1885 dans le Valais, il passe sa jeunesse comme bûcheron ou domestique de ferme. À 25 ans, apprenant qu'il y a du travail en Tarentaise et des chances d'y faire fortune, il décide de partir. Ayant obtenu une place de berger et d'aide-fromager en alpage, il entreprend avec son voisin un voyage à pied à travers les montagnes, qui dure trois jours [Vuichard-Paysan 1989]. ..
Les Suisses ont une certaine avance : très tôt, ils sont formés comme apprentis dans les chalets et surtout dans des écoles spécialisées. Compétents également dans le domaine de l'élevage, ils sont recherchés dans les grandes exploitations du Bassin parisien où ils sont employés comme vachers et s'occupent aussi parfois de la laiterie, secteur dans lequel ils ont acquis un certain pouvoir grâce à leurs connaissances qu'il gardent pour eux.. Ainsi, cette immigration se nourrit d'elle- même : une fois que les fromagers sont installés et que leur entreprise prospère, ils font appel à des compatriotes". Ref: https://www.persee.fr/
Fromagers suisses.
La tradition fromagère du village se perpétue de nos jours avec la coopérative du Val Fleuri qui regroupe une vingtaine de producteurs de lait et qui fabrique, en bio, différents fromages.
La fromagerie du Val Feuri en 2018
La famille GRANDVINCENT regroupe le père, Théodule, né en 1837, patron cultivateur, son gendre Jules BAGUE, sa fille Aline et leur fils, le petit Emile né en 1909. Un domestique de 17 ans,Alfred PELLETIER en complète la composition.
BUISSON Maurice est l'instituteur public. Il réside ruelle Mouginot avec sa femme Marie CRAPOIX et leur fils Henri, tout juste âgé d'un an.
La mairie et la salle des "adjudications" ( sale du conseil, salle de réunions) sont incluses au rez de chaussée du bâtiment ainsi que la cuisine et la salle à manger de l'instituteur .Une grange et lune écurie complètent le plan d'occupation. Le four à pain est contigu à la salle de classe. A l'étage, quatre chambres à coucher communicantes, dont une seule semble chauffée ( en haut à gauche, symbolisation en demi cercle du passage du tuyau du poêle à bois).
En 1911 l'instituteur est Monsieur Célestin ETIENNEY originaire d'Aboncourt. Sa femme Marie est née, elle à Bougey.
UN cordonnier, Léon JAMAIS, exerce son métier dans un atelier qui sent bon le cuir neuf et la colle. Il est l'époux de Valentine qui a 8 ans de moins que lui. On ne peut pas dire, à priori, que ce sont les cordonniers qui sont les plus mal chaussés!
Echoppe de cordonnier. Ref:Musée arts et traditions populaires. Chateau Lambert
Enfin citons le berger communal,Louis JOLY né en 1860 à Cornot, mari de Marie née à Vaîte en 1873... Ils ont 5 enfants dont trois garçons et deux filles nés dans des villages différents ce qui traduit certainement la grande mobilité du berger. La petite dernière est âgée de 2 ans.
Un berge haut saônois et son troupeau.
En 2018 on peut encore voir une croix sur le Petit Pont et, à proximité, un oratoire en pierre sculptée présentant une descente de croix polychrome protégée par une grille en fer forgé...
L'arrêt à la gare de Melin-Lavigney ne dure qu'une dizaine de minutes. A 7h 25 le train s'ébranle dave un grincement familier ponctué par le souffle saccadé de la locomotive qui prend son élan. La machine, une CORPET-LOUVET a été fabriquée le 15 septembre 1910 comme l'indique sa plaque signalétique. Son numéro de série est 1305.
Locomotive Corpet-Louvet n°31 quittant la gare des CFV de Vesoul sur la ligne Vesoul-Molay.
La voie , suit, en accotement, la RN 19. Celle ci , peu après la gare se met à serpenter et à décrire des arabesques... c'est le nouveau tracé de la route qui, autrefois était rectiligne! On se demande pourquoi les ponts et chaussées ont décidé cette transformation; peut être la pente? Toujours est il que la voie ferrée suit docilement les élucubrations de sa soeur routière.
La voie ferrée et la RN entre Melin et Malvillers...
Le train mettra quelques 9 minutes pour rallier la gare de Malvillers distante de 4 kilomètres ... Vingt cinq kilomètres à l'heure, telle est sa vitesse moyenne!
Madame MARQUET sort de son réticule une boîte de dragées , dont elle retire le couvercle .Elle offre une de ces délicieuses confiseries à l'ecclésiastique, tout d'abord, puis à sa bonne et enfin à sa fille Madeleine. Le couple qui est monté à Combeaufontaine et qui s'était rapproché du groupe lors de l'arrêt, bénéficie , lui aussi des largesses de la mère de famille! Les visages se sont éclairés alors que dans les bouches s'exhale le parfum du sucre et de l'amande! Le goût si agréable n'est pas surprenant quand on sait que les dragées proviennent de la célèbre confiserie Braquier de Verdun!..Ne serait-ce pas alors un péché de gourmandise?...Mais non, l'oeil pétillant de Monsieur le curé vaut complète absolution!
Finalement, à mi parcours, le train décide de faire la voie buissonnière, le voilà qui coupe la route non sans avoir ralenti et lancé ses coups de sifflets réglementaires. Une voiture automobile et deux cyclistes qui se rendaient à Combeaufontaine se sont arrêté sagement et regardent le convoi passer...
Bientôt la gare de Malvillers apparaît à la sortie du village dont l'église se dresse à gauche de la voie.
Ref: La ligne du tramway Vesoul-Molay. Pascal Magnin. ED. HS-FC
A Malvillers une saboterie mécanique était la propriété de Monsieur Camus.
La machine a remplacé l'artisan pour une production plus importante; mais les souliers ont détrôné les sabots des campagnards et les sabotiers ont dû fermer boutique!
Ecoliers en sabots et galoches en 1914.
Ci dessous la gare de Malvillers telle que l'on peut la voir aujourd'hui depuis la RN19 et depuis la rue de la gare dans le quartier nord du village.
Tracé de la voie ferrée sous les arbres. 2018
Le "chef de gare" ...et son chien vous surveillent! Ne pas s'aventurer en ces lieux privés!
La croix placée non loin de la gare porte l'inscription:
" Don fait par Jean François BILLARDEY et son épouse Blaise MULTON de Malvillers.1875" Ils se sont mariés à Malvillers le 22 juin 1836.
Le convoi a ralenti et s'immobilise devant la gare toute neuve de Malvillers. Le couple de combeaufontains se dirige vers la plateforme du wagon, non sans avoir salué le quatuor formé par les dames MARQUET le curé de Gourgeon et sa bonne. A la descente du train ils sont accueillis par leurs cousins DELAITRE qui sont venus en famille jusqu'à la gare pour cet événement particulier. On s'embrasse on s'étreint, on demande si le voyage a été bon, si les sièges sont confortables, si la vitesse n'a pas été trop impressionnante....
...La famille DELAITRE est une famille de cultivateurs. Le père qui porte le prénom d'Eugène - Fortuna est né à Preigney en 1858, la mère Claude Françoise HENRY lui a donné 5 enfants dont la dernière est malheureusement décédée peu après sa naissance en 1907. Louis Edmond âgé de 15ans, Auguste 14 ans, Alfred 11 ans et la petite Berthe 7ans composent le reste de la famille. Dans le sac que porte leur cousin venu en visite ils savent qu'il y a des friandises et peut être même des jouets, mais ils devront attendre d'être arrivés à la ferme pour les découvrir! Madame MARQUET se penche par la fenêtre du train, hèle les enfants:
- Approchez les enfants, j'ai quelque chose pour vous! Le couple des cousins leur explique qu'isl on fait connaissance de cette charmante dame dans le train...ils s'approchent donc du wagon, sans crainte.
- Attention, je vais vous lancer des bonbons! Tâchez de les attraper ! Joignant le geste à la parole elle lance une bonne poignée de dragées qui sont happées au vol par les garçons. La petite Berthe, moins agile, en ramasse quelques unes tombées sur le sol! Quelle joie! Ils remercient en choeur!
-Merci Madame, merci, merci...
Les parents Delaître font de même.
Madeleine s'étant penchée également par la fenêtre du wagon attire l'attention de Louis Edmond . Les yeux bleus de la jeune fille, sa coiffure à la mode de la ville font naître chez le garçon un émoi qu'il n'avait pas connu jusque là. Cette voyageuse mystérieuse mais furtive hantera longtemps ses rêves d'adolescent. On apprendra bien plus tard que Louis Edmond, soldat au 4ème régiment de zouaves et spahi aux Dardanelles mourra des fièvres et de la dysentrie à l'hôpital militaire de Sézanne dans la Marne le 23 mars 1917.
Lorsque le train redémarre c'est avec de grands gestes de la main que l'on se salue; un peu comme le font les accompagnateurs restés à quai et les passagers d'un bateau qui quitte le port pour une longue traversée océanique! Le son grave, énorme et vibrant de la sirène du paquebot est remplacé ici par le sifflet aigu du train. Prés et champs, sillons des labours défileront à l'horizon comme autant de vagues et d'embuns à la surface de la mer...
UN TRACE CHANGEANT
A l'origine le terminus de la ligne prévu en 1906 devait être MOREY en prévision d'une liaison future avec Champlitte. Mais en 1908, on change d'avis: le terminus sera MOLAY car le conseil général de Haute Saône voudrait une liaison avec Chalindrey et la voie PLM de Paris, passant par Fayl Billot et la Haute Marne. Malgré le refus du conseil général de Haute Marne, on maintient le terminus à Molay en faisant le pronostic ( qui s'avérera faux!) que le conseil général haut marnais reviendra sur sa décision.
Ligne Vesoul- Molay. En noir le tracé initialement prévu en 1906 pour un terminus à Morey. En rouge le tracé définitif de 1908 avec une station à Morey et le terminus à Molay.
En orange, les 3 arrêts prévus en 1906 sur l'ancien projet: Halte de Molay, station de Morey, station de Morey Saint Julien.
En vert,vles 2 arrêts retenus sur le projet définitif de 1908: Stations de Morey et station de Molay.
Le tramway a embarqué quelques voyageurs supplémentaires à Malvillers. Le voici qui s'éloigne du village, coupoe à travers champs et se dirige tout droit vers la lisière du Bois de la Sablière qui après quelques hectomètres prend le nom de Grand Bois en pénétrant sur le territoire communal de Morey. La longue saignée rectiligne dans la forêt fait caisse de résonance : le staccato des roues sur les rails et les jets de vapeur de la loco sont amplifiés en se répercutant sur les troncs de la futaie. Des bûcherons façonnent encore les grumes et les baliveaux qui ont été coupés quelques mois auparavant tandis que la fumée qui s'échappe de monticules traduit l'activité des charbonniers eux aussi en plein travail.
Bon nombre d'entre eux vivent sur place avec leurs familles et se déplacent au gré des chantiers, vivant sous des huttes.
La table est mise à l'extérieur devant les huttes en bois et en terre, les poules picorent, le linge sèche sur les fils tendus...
Repos dominical pour la famille de charbonniers devant la hutte. Les râteaux servant à étaler le charbon de bois, l'échelle qui sert à grimper sur les tumulus de bois qui brûle "à l'étouffée" sont posés sur les parois. Une vie rude!
Le train continue sa course rectiligne à la sortie du bois puis amorce une courbe élégante, à droite. Il passe sur un pont de 5 mètres d'ouverture au croisement de deux chemins de défruitement, infléchit encore un peu sa trajectoire pour rejoindre la station de Morey qui jouxte le chemin de grande communication de Dampierre sur Salon à Bourbonne les Bains. Nous sommes en rase campagne, à un bon kilomètre du centre de Morey.
Haut: arrivée du train en provenance de Molay
Bas: Arrivée du train de Madeleine en provenance de Malvillers. La chefesse de gare ( en chemisier blanc) est Madame Jeanne Camus ( veuve de Jules Bossus, clerc de notaire à Jussey).
La gare de MOREY , côté voies, en 2017.
La gare de MOREY , côté route, en 2017.
Madeleine et sa mère descendent les premières sur le ballast. Le curé et sa bonne suivent.Une femme est là qui tient une liasse de documents qu'elle consulte rapidement. Ellesemble donner des ordres à des employés à casquette. . Ils se dirigent vers le fourgon et déchargent une malle, celle de Madeleine et un panier (il contient les victuailles placées là le matin même par Madame MARQUET) qu'ils portent jusque sur la plateforme inclinée de la station. Cette dame, bien habillée c'est Jeanne Camus. On ne pourrait pas soupçonner à son allure et à son maintien qu'elle est chefesse de gare!
Madame MARQUET s'approche d'un des employés en tenue qui s'éponge le front avec un grand mouchoir à carreaux
-Bonjour Monsieur, j'ai vu passer la malle de ma fille que vous venez de déposer, y a t il des formalités à remplir pour la récupérer?
- Ah oui Madame, il faut que vous demandiez au chef de gare, je veux dire ..à la chefesse répond-t-il en désignant sa patronne, du doigt. Interloquée un court instant elle se reprend
- Merci Monsieur, je vais donc demander à cette dame...
- A votre service, dit l'employé en soulevant puis en replaçant sa casquette sur son crâne dégarni.
Julie Marquet s'approche de la responsable et lui demande ce qu'elle doit faire pour prendre possession de la malle et du panier.
- Vous êtes...Madeleine MARQUET et vous venez de Lavoncourt ? interroge la préposée des chemins de fer vicinaux
- Non, je suis sa mère, Julie Marquet, ma fille se rend au pensionnat pour y travailler.
-Ah oui! je suis au courant, Mademoiselle ROBINET, la directrice, m' a annoncé son arrivée ! Bienvenue à Morey jeune fille dit elle à Madeleine avec un grand sourire. Ce premier accueil chaleureux sur le sol moreysien réconforte un peu Madeleine. Elle ajoute à l'adresse de Julie
-Il vous suffit de signer là et vous pourrez disposer de vos bagages.
Pendant la conversation des trois femmes le curé et sa bonne se sont approchés d'un attelage conduit par une jeune femme habillée tout en noir . Elle descend de son siège, tend la main au curé en faisant une petite génuflexion et embrasse la bonne. Ces trois là se connaissent! Elle, c'est Germaine THIEBAUD, elle est âgée de dix neuf ans. C'est une sorte de "religieuse-novice, sans l'être tout à fait.." qui travaille comme domestique au pensionnat depuis 2 ans déjà. Sa débrouillardise , son dynamisme lui ont valu de se voir confier l'entretien des chevaux et la conduite de la calèche anglaise qui sert à faire la liaison entre le pensionnat, l'église, la gare et les boutiques du village.
Le curé vient à la rencontre de Julie et Madeleine
-Venez Mesdames, je vais vous présenter Germaine qui est chargée de vous conduire jusqu'au pensionnat!
Les présentations sont faites. La cochère (il faut bien la nommer ainsi) claque deux baisers sonores sur les joues de Madeleine et salue sa Maman.
-Montez, Madame la Directrice vous attend!
- Bien sûr! mais...il faut charger la malle de ma fille et le paner à provisions!
- Je suis bête, dit Germaine en riant. Attendez je vais chercher de l'aide! Elle avise un employé des chemins de fer et le cantonnier Jules BRALEY qui rebouchait des trous dans la chaussée à proximité de la gare.
- Hé Monsieur,... hé Jules! vous pouvez nous donner un coup de main pour charger la malle? Les deux hommes s'approchent, saluent respectueusement l'ecclésiastique et les Dames puis saisissent la malle qu'ils chargent au fond de la calèche anglaise "snapshot" après en avoir ouvert la petite porte arrière. Le panier suit.
Madame MARQUET, pour les remercier, leur offre ses fameuses dragées qui ont déjà fait le plaisir des enfants de Malvillers et de Monsieur le curé de Gourgeon!
Germaine prend les rênes en main les fait claquer sur la croupe du cheval qui s'assoupissait un peu et s'écrie:
- Allez hue, Ambroise! ( par jeu,et par malice, elle a donné au cheval le prénom de l'aumônier Ambroise ALLEMAND qui officie au pensionnat)..Hue, nous allons au pensionnat!
Madeleine est quelque peu surprise de l'indication donnée au cheval
- Oh! mais c'est qu'il s'y connaît Ambroise...à force de faire les trajets et d'entendre les lieux que j'indique il sait se répérer et se dirige tout seul! Pour le pensionnat il comprend d'autant mieux qu'il y a son écurie!
Les deux jeunes filles rient à gorges déployées! Le courant est passé entre elles! L'avenir s'annonce déjà plus réjouissant pour la jeune lavoncourtoise.
Un savant demi tour et la voiture s'engage sur la route en direction de Morey.
Le recensement de 1911 indiquera que 62 personnes exercent la profession de vigneron. La vigne fait vivre presque la moitié de la population qui s"élève à 474 âmes.
Toutes ces parcelles figurant sur le cadastre de 1845 sont des vignes. Il y en a d'autres disséminées dans le village.
La situation géographique de Morey- comme des villages voisins de Saint Julien ou de Suaucourt- au pied de la Roche de Morey qui culmine à 470 mètres, le sol caillouteux impropre à l'établissement de prairies, l'exposition du versant au sud, favorisent la plantation de vignobles.
Morey, plan d'alignement des rues et cadastre napoléonien. En haut le centre et l'église, en dessous , le quartier du pensionnat et de la rue "Printanière". ADHS70.
L'attelage continue sa route au petit trot d'Ambroise.
A cette période,ce devrait être, dans les vignes une activité débordante mais le temps pourri des mois précédents, le froid, la pluie, le manque d'ensoleillement ont compromis la récolte. C'est tellement vrai que dans le vignoble bourguignon voisin de noble réputation, il n'y aura pas de millésime 1910!
Alors que les conversations vont bon train à l'avant et à l'arrière de la calèche, le cheval Ambroise, sans que Germaine ait eu à le guider, quitte de lui même la grand roue, à la croix de la Creusotte pour prendre la rue des Prés de Vaivre qui monte vers le pensionnat.
Celui ci se découvre plus nettement aux yeux des passagers. Sa longue façade blanche contraste avec le vert des vignes et des bois qui montent , derrière, à l'assaut des falaises de la Roche. Le nombre de fenêtres et de cheminées impressionne Madeleine
- C'est le pensionnat? interroge-t-elle? mais c'est immense, toutes ces pièces, toutes ces fenêtres ...on doit s'y perdre?
- Oui c'est grand répond Germaine, et il y a encore d'autres bâtiments cachés par la façade; mais toutes les fenêtres que tu vois donnent sur les chambres des personnels , autrefois c'étaient des cellules de moines quand le pensionnat était encore un monastère. Sur l'arrière, il y a des grands dortoirs pour les jeunes pensionnaires qui viendront bientôt.
- Mais on doit se perdre dans les couloirs !?, insiste Madeleine,
- J'ai eu la même crainte que toi en arrivant il y a deux ans, mais tu verras, au bout de quelques jours on se repère très bien!... tu sais déjà quel sera ton travail?
- Le curé de mon village m'a dit que je serais attachée aux cuisines et que je ferais aussi du ménage...
- Ah! tu seras en cuisine! La cuisinière c'est une allemande, elle est un peu impressionnante avec sa voix forte , son accent et ses grands gestes, mais si tu fais bien comme elle te demande, ça se passera bien! Dans le fond elle a bon coeur! Elle s'appelle PFISTER, Emma PFISTER, elle a bientôt cinquante ans...
- Mais je ne sais pas bien cuisiner, je sais faire cuire une tranche de viande et des oeufs au plat, mais à la maison c'est ma mère qui cuisine!
- On ne te demandera pas de cuisiner tout de suite, répond Germaine en souriant, tu commenceras par éplucher les légumes, nettoyer les plats, les marmites, la vaisselle et puis tu viendras avec moi faire les courses au village!
Cette perspective plus ludique, donne un peu d'espoir à la future domestique.
En chemin ils rencontrent un petit groupe de vignerons. Tous se plaignent du sale temps et de la mauvaise récolte qui s'annonce. Pour eux ce sera une perte de revenu conséquente que rien ne viendra compenser! Cette année, pas besoin d'engager de journaliers, la famille suffira, malheureusement,à la tâche!
Martin CARTERET lave quand même ses tonneaux à l'abreuvoir mais leur nombre est extrêmement réduit! Lui aussi il sait que son escarcelle sera bien plate!
Après avoir laissé à droite la route de Cintrey, la croix de la Ruaz et l'abreuvoir, .aborde la partie la plus pentue du chemin. Ambroise tend son encolure et pousse sur ses pieds dont les sabots martellent le sol caillouteux avec détermination.
- C'est bien, Ambroise! encourage Germaine, c'est bien! Le cheval a tourné ses oreilles vers l'arrière et, comme s'il avait compris les mots de la jeune fille, il redouble d'effort. Bientôt, le chemin d'accès à la porterie du pensionnat s'offre à eux.
Le portail d'accès à la porterie.
La porterie est un bâtiment situé en avant du pensionnat . Il comprend un porche traversant qui permet à la voiture d'accéder au bâtiment principal sur la façade-est duquel s'ouvre l'escalier d'honneur qui conduit aux jardins d'agrément. L'attelage s'arrête devant la porte latérale.
-Ca y est nous sommes arrivés, s'exclame Monsieur le Curé qui a été un peu secoué par les chaos de la route. Galant homme, bien qu'homme d'église avant tout, il aide les dames à descendre. Madeleine fait de même, alors que Germaine , elle, reste assise sur son siège de cocher.
-Tu ne viens pas avec nous? interroge Madeleine
-Je vous rejoindrai plus tard, il faut que je rnge la calèche au garage et que je débarasse Ambroise de son aharnachement. Je ferai porter ta malle dans ta chambre et le panier à provisions en cuisine! A tout à l'heure!
-Suivez moi Mesdames! s'écrie le curé qui connait bien les lieux. Les trois femmes lui emboîtent le pas!
- C'est au rez de chaussée! ajoute-t-il.
Un escalier monumental en pierre conduit à l'étage. Madeleine et sa mère regardent, bouche bée, les balustres sculptées et les croisées d'ogives des plafonds, le couloir qui n'en finit pas...
Le curé s'arrête devant une porte de bois sur laquelle figure l'indication "Parloir". Il frappe.
- Entrez! dit une voix féminine
Le petit groupe pénètre dans la pièce éclairée par deux fenêtres .Au centre, une table ronde sur laquelle est posé un vase fleuri.Des chaises, un divan.
La Directrice s'avance vers eux, un sourire éclaire son visage. C'est une grande femme vêtue d'une robe noire au col Claudine blanc. Une veste croisée courte complète sa tenue très sobre. Derrière ses lunettes cerclées ses yeux clairs exprime à la fois douceur et une grande fermeté. Elle est originaire de Humes, dans la Haute Marne. Sa cadette Alphonsine est Maîtresse d'ouvrier, une sorte de contremaître.
La Directrice, Marie ROBINET
- Bienvenue au pensionnat! ...Je vois ,Monsieur le curé, que vous avez fait le guide pour ces dames!
Elle salue les visiteurs et les invite à s'asseoir.
-Je vous remercie, Monsieur le Curé, d'avoir répondu à mon appel pour suppléer notre prêtre Zénon VALLET à la messe de 11 heures dans notre chapelle. Il s'est malencontreusement tordu la cheville en descendant dans la cave du presbytère et le médecin lui interdit tout déplacement. C'est sa soeur Marie qui nous a prévenu la semaine dernière.... Bien entendu tout le monde mangera avec nous ce midi!
Marie ROBINET s'adresse ensuite à Madeleine et à sa maman en leur disant que les bons renseignements transmis par le curé de Lavoncourt et par l'institutrice avaient emporté sa décision de recruter la jeune lavoncourtoise. Julie confirme que sa fille est très sérieuse et s'acquittera avec zèle des tâches qui lui seront confiées, comme elle le faisait à la boucherie familiale.
On frappe à la porte. La Directrice fait entrer Germaine à qui elle avait demandé de servir de guide à Madeleine dans les premiers jours de son adaptation
- Entrez Germaine, avez vous bien fait porter la malle de Mademoiselle Madeleine dans sa chambre? Oui? Très bien! Maintenant faites lui visiter les lieux et allez voir notre cuisinière qui l'attend.
La rentrée des pensionnaires se faisant dans quelques jours, Marie Robinet explique le fonctionnement du pensionnat.
En 1902 le pensionnat comptait 134 élèves dont 103 externes et 31 pensionnaires. Les 10 institutrices étaient toutes des soeurs qui portaient leur nom religieux en plus de leur patronyme civil comme le montrent ces statistiques demandées en 1902 par l'Inspecteur d'Académie. en 1911 le recensement ne dénombre plus que 3 institutrices....
La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 a mis fin, en France, au magister des religieuses, mais à Morey elles ont pu continuer à enseigner suite à l'intervention et à la requête du Maire et du conseil municipal, sans signe ostentatoire distinctif comme l'avait précisé le Préfet!
Extraits de "Le Pensionnat Sainte Marie de Morey" André MACHUREY.
Pendant le docte exposé de la Directrice, Madeleine entraînée par Germaine, est partie à la découverte des lieux. ..
Germaine entraîne Madeleine au premier étage par le grand escalier qui jouxte le parloir. Elles débouchent dans un immense couloir qui traverse tout l'édifice dans sa longueur. Elle ouvre une porte qui donne sur un dortoir où les lits sagement alignés attendent la venue des pensionnaires. Ca sent l'encaustique! Des ciels de lits immaculés peuvent faire penser à une antichambre paradisiaque, d'autant que le crucifix fait bonne garde sur l'un des murs.
Une rangée de lits est perpendiculaire aux fenêtres tandis que d'autres couches s'alignent entre ces dernières.
Madeleine, qui s'est un peu enhardie, s'assied sur l'un des lits et se met à tressaute pour en éprouver la souplesse. Germaine en fait tout autant et les deux adolescentes éclatent de rire...
- Allez, on arrête, dit enfin Germaine, si la maîtresse d'ouvrier passe par là on va se faire disputer!
- D'accord, répond Madeleine, mais on a quand même bien rigolé!
- Oui Madeleine, reconnaît Germaine, maintenant il faut qu'on retende les draps et les courtepointes pour qu'on ne se doute pas de notre passage!
Ce qui est dit est fait! Elles quittent la pièce pour se rendre ensuite dans deux autres dortoirs celui des garçons et des petites filles. Ils sont en tous point semblables avec, au mur un crucifix de bois rappelant le caractère anciennement religieux de ces lieux qui furent monastiques.
La visite se poursuit par la découverte des salles de classes
Ici règne aussi une bonne odeur d'encaustique. Les pupitres sont alignés par rangées de deux ou de quatre modules. Point de chaises mais des bancs sans dossier sur lesquels il doit être difficile de faire la sieste! Des générations d'écoliers ont laissé trace de leur passage, comme à l'Ecole publique: ici des cercles tracés avec un compas, là des initiales gravées au couteau, là encore un personnage stylisé qui pourrait faire penser au père Ambroise, l'aumônier...! Au mur des cartes de géographie: le monde, l'Afrique et nos colonies d'AOF et d'AEF, la France...La chaire surélevée de l'enseignante trône sous une gravure sainte. Tout est prêt pour accueillir les jeunes élèves! Deux autres salles de classes identiques encadrent la salle des professeurs.
-Viens on va redescendre, je vais te faire voir ta chambre...qui est aussi la mienne! La Directrice a pensé qu'ayant presque le même âge nous nous entendrions bien et puis, comme ça, tu t'adapteras plus vite!
- Oh! ça c'est une bonne surprise, s'exclame Madeleine en étreignant sa nouvelle amie.
- Attention, pas de bruit, nous allons passer près de la cuisine et si la cuisinière nous entend elle te mettra vite le grappin dessus!
Elles descendent l'escalier à pas de loup, passent à proximité du réfectoire et s'engagent dans le couloir de l'aile perpendiculaire au bâtiment principal. Elles atteignent enfin la chambre de Germaine à l'extrémité ouest du pensionnat. La pièce est grande et lumineuse. Deux fenêtres apportent la lumière venant du sud. Deux lits, semblables à ceux des dortoirs, occupent les côtés de la grande pièce, tandis qu'une table centrale sera commune aux deux locataires. Deux chaises, deux armoires, une petite bibliothèque contenant des ouvrages pieux complètent le mobilier. Au centre de la pièce, la malle de Madeleine attend son bon vouloir.
- Nous allons vider ta malle et ranger tes affaires dans ton armoire, dit Germaine, comme ça quand la maîtresse ou la Directrice viendront, elles auront une bonne impression! Elles aiment l'ordre!
Les deux filles se lancent donc dans le rangement en babillant et en commentant la qualité des différentes pièces de vêtements qui passent de mains en mains avant de trouver leur place dans l'armoire.
Puisqu'il a encore du temps devant lui, Monsieur le curé décide de se rendre au chevet de son collègue blessé pour prendre de ses nouvelles. Sa bonne l'accompagne ainsi que Madame MARQUET qui souhaite passer par l'église du village*, proche du presbytère. Elle y fera brûler un cierge ( elle demandera que sa fille Madeleine réussisse dans la nouvelle orientation de sa vie et qu'elle soit protégée de tout mal!).
Eglise de Morey
Intérieur de l'église en 1907
* Eglise Saint Gengoult:
Appelé aussi Gendulphe, Gendulfe, Gandouffe, etc…, Saint Gengoult est né au début du VIII° siècle, de parents très chrétiens. Ce fut un fils très docile dont les meilleures distractions étaient la bienfaisance et la chasse, ce qui explique le faucon qu’il tient en main.
En âge de s’établir, il épousa Ganéa, fille de haute noblesse, mais de petite vertu.
Gengoult se bâtit un château à Varennes-sur-Amance, à 28 kilomètres de Langres. Mais les guerres l’appelèrent à prendre rang dans les armées de Pépin le Bref.
Quand il revint chez lui, il apprit les infidélités de sa femme. Comme elle refusait d’avouer, il décida de lui faire subir l’épreuve de l’eau.
Il la conduisit prés d’une fontaine et lui dit : " Plongez votre bras dans ce bassin et ramassez une pierre qui est au fond. Si vous êtes sans reproche vous n’aurez aucun mal. Si vous avez pêché, Dieu ne laissera pas votre crime impuni ". Ganéa accepta sans méfiance. Mais à peine avait-elle plongé son bras dans l’eau qu’elle le retira vivement. Celui-ci était rouge, couvert de cloques comme si l’eau avait été bouillante.
Gengoult était fixé. Il laissa à sa femme le loisir de se repentir et se retira dans sa résidence de Vaux-la-douce, à 10 kilomètres de Varennes-sur-Amance, où il mena une vie toute de piété, accomplissant même quelques miracles.
Mais l’épouse coupable ne lui avait pas pardonné et elle résolut de le faire assassiner par son amant. Celui-ci docile se rendit en Bourgogne. Il pénétra dans la chambre où reposait Gengoult et leva son épée. Gengoult tenta de détourner le glaive mais fut néanmoins mortellement blessé et succomba le surlendemain, le 11 mai 760. On l’enterra dans l’église Saint Pierre, qu’il avait fait construire à Varennes. Puis ses reliques furent déposées à Langres, à l’abri des barbares Normands.
Tout de suite sa mémoire fut vénérée et invoquée non seulement pour la paix des ménages mais également pour la guérison des panaris. ( Il serait le saint patrons des "cocus"...dit-on!)
Gengoult met Ganéa à l'épreuve...!
Le presbytère et l'église. ADHS70
Les deux jeunes filles, après avoir rangé l'armoire de Madeleine tout en bavardant, se rendent maintenant aux cuisines où règne 'l'allemande" Emma PFISTER.
La porte de la pièce est entre ouverte. On entend un bruit de casseroles puis comme un coup de cymbales qui résonne et se répercute jusque dans le couloir...
-Scheiße! Name GOTTES ... was hat diesen Deckel auf den Ofen gelegt?... Ich habe hundertmal gesagt, dass du das Material an seinen Platz bringen musst!... elle reprend en français pour la domestique objet de sa colère: " Je t'ai dit cent fois qu'il fallait ranger le matériel à sa place!"
Une petite voix lui répond, celle de Marie Grossetête, une domestique
-Ce n'est pas ma faute, Emma, c'est vous qui l'avez posé le couvercle là, quand vous avez mis les choux dans le bouillon...
Si Marie est originaire de Morey, Emma, la cuisinière en chef est née, elle, à Reichshoffen trois ans après la célèbre et inutile charge des cuirassiers français au début de la guerre franco- prussienne de 1870. Elle aurait pu être alsacienne et française si le sort de la bataille nous avait été favorable, mais, l'Alsace annexée est devenue territoire allemand! C'est dire qu'Emma " hat einen starken Charakter" ( elle a un solide caractère!)
La charge des cuirassiers tableau de 1878.
- Tais toi donc! Je sais bien ce que je fais!... Passe moi donc la louche!... rétorque-t-elle derechef!
Une cuisine de pensionnat
une partie de la cuisine du pensionnat de Morey ....
Un peu échaudées par ce qu'elle viennent d'entendre les deux filles osent quand même frapper à la porte .
- Oui! entrez! dit sèchement la cusinière. Elles s'exécutent...
- Bonjour Madame, dit Germaine, je viens vous présenter la nouvelle, Madeleine, qui devrait travailler avec nous...
- Aaaah, très bien , répond la cuisinière, dont le ton a changé. Bienvenue dans nos cuisines!
Les cuisines sont quelques peu vétustes. Au fond trône une immense et antique cheminée qui remonte à la création du couvent..Des fourneaux de tailles et de factures diverses, dont les cors disparaissent à hauteur derrière le linteau ont été placés dans l'âtre. Le plafond, en croisées d'ogives est soutenu par des colonnes...
Après avoir posé quelques questions à Madeleine sur sa famille, la profession de son père, sur Lavoncourt, Emma dit:
- Bien, nous aurons l'occasion de faire plus ample connaissance dans les prochains jours, mais pour l'instant j'ai besoin de vous pour aider Marie à éplucher les légumes. Mettez ces tabliers... voici des couteaux, et attention de ne pas faire des épluchures trop grosses! Marie vous montrera comment faire!
Madeleine et Germaine s'asseyent à la table et se mettent à l'ouvrage en échangeant des regards un peu incrédules...
Au menu du repas de midi, préparé pour les personnels et les visiteurs: une potée alsacienne dont la cuisson durera bien deux heures! En dessert, du raisin de Morey.
La matinée s'écoule paisiblement. Le curé de Gourgeon et ses accompagnatrices reviennent du presbytère. Zénon, le curé, les a reçus assis dans un voltaire, la jambe blessée reposant sur un tabouret et un coussin. Il va mieux mais devra encore patienter avant de rprendre le chemin de l'église et de la chapelle du pensionnat...
Le curé de Gourgeon assurera une "petite messe" à la chapelle, il n'y aura pas de parties chantées.
La chapelle du pensionnat
L'entrée d'honneur du pensionnat
Le cloître des moines.
Les portes de la cour d'honneur ont été ouvertes afin de permettre aux habitants qui le souhaitent d'accéder à la chapelle et d'assister à la célébration. Une dizaine de paroissiens se sont assis sur les bancs au côté des personnels domestiques et enseignants ainsi que les dames Marquet. Le curé est assisté par l'aumônier, le père Ambroise. Sobre cérémonie au cours de laquelle on prie pour que la rentrée des jeunes pensionnaires se passe bien, que les vendanges de l'année prochaine soient meilleures, qu le curé Zénon se remette rapidement et pour le repos de l'âme des soeurs qui ont officié en ces lieux.
Le repas de midi qui s'en suit est pris dans le grand réfectoire où la table a été dressée. La table ronde , centrale, réservée ordinairement aux " surveillants" n'est pas occupée. Marie Robinet a trouvé plus sympathique que l'ensemble des convives puisse être placés en vis à vis .
Monsieur le curé préside. C'est à lui que revient de droit le privilège de dire le bénédicité et de couper le pain qu'il aura béni auparavant.
La potée a du succès! Emma Pfister est une très bonne cuisinière!
Pendant le repas la directrice rappelle les origines du pensionnat de Morey...
C'était auparavant un monastère dédié à Saint Servule. Le monastère original se trouvait dans une maison appelée "Maison Luillier", une belle maison renaissance avec une tour, des dépendances dont un pressoir.
C'est en 1699 que les moines bénédictins pourront entrer dans les actuels bâtiments après une bonne dizaine d'années de construction.
A la révolution française le mobilier et les bâtiments furent vendus comme bien nationaux.
Grâce à l'intervention d'Elisabeth de Villers Vaudey, fille de l'ancien Marquis Richard de Villers Vaudey le monastère trouva une seconde vie pieuse. Elle incita les soeurs "du Coeur Immaculé de Marie" a acheter les bâtiments pour créer un pensionnat ce qui fut fait en 1843..
Au dessert Marie ROBINET sort un album de photographies qui retracent la vie du pensionnat au temps de soeurs puis de la laïcité:
Madeleine, après avoir aidé à la vaisselle, pourra passer le reste de l'après midi avec sa maman et Germaine qui a reçu l'autorisation de les accompagner. Elles pourront monter à la Roche voir la Pierre qui vire, le pain de beurre et contempler la vue qui s'étend au loin. On dit même que, par beau temps la chaîne des Alpes est visible! Le curé de Gourgeon,suppléant occasionnel de son collègue de Morey, sa bonne et la Directrice prépareront la rentrée et le calendrier liturgique pour l'année scolaire qui s'annonce. Les enseignantes seront associées aux décisions.
Après cette ascencion sportive et éprouvante il est temps de songer au retour. Le train de Molay à Vesoul passe à 6h19. Il ne faut pas le rater!
Germaine a harnaché Ambroise et l'a attelé à la calèche. Madame MARQUET salue la Directrice qui la rassure sur la suite des événements, Madeleine sera bien traitée et trouvera un épanouissement dans son travail. Et puis la mère et la fille pourront correspondre par courrier...
Julie MARQUET a le coeur gros et si elle n'en laisse rien paraître elle se fait du souci pour sa fille qu'elle laisse pour la première fois voler (presque!) de ses propres ailes. La présence de Germaine la rassure un peu.
Monsieur le Curé et sa bonne font, eux aussi, leurs adieux car il vont prendre le même train que Julie. Madeleine montera dans la calèche avec les adultes qu'elle accompagnera jusqu'au train . Le trajet vers la gare se fait presque en silence, seul le curé qui sent bien la tristesse de la séparation essaie de donner le change en racontant quelques blagues.Oh! des blagues bien gentillettes, bien innocentes qui ne sauraient choquer son auditoire féminin!
L'attente est pesante. Le train finit par arriver. Il s'arrête à la station. Madeleine étreint sa mère qui l'embrasse tendrement en réprimant un sanglot. Des larmes coulent. Les passagers montent en voiture. Le train démarre. On agite des mouchoirs. Germaine a pris Madeleine par les épaules. Elles attendent que le panache de fumée et les wagons aient disparus derrière la corne du bois et, la tête baissée retournent vers le cheval...
Une nouvelle vie commence pour Madeleine. Chacun pourra l'imaginer à sa façon.
Que sait on de la vie de la véritable Madeleine Marquet de Lavoncourt? Le registre de l' Etat civil nous donne quelques indications:
Elle se mariera à Paris le 10 juillet 1917 avec Stéphane Constant VIEILLE et décédera à Dijon le 10 mars 1956 à l'âge de 62 ans. Sa vie fut sans doute "bien remplie"
Si l'histoire romancée de Madeleine MARQUET est terminée nous n'avons pas atteint le terminus de la ligne: MOLAY! Molay, le pays de Jacques de Molay grand maître de l'ordre du Temple brûlé vif pour hérésie!
La gare de Molay et la remise de la locomotive.
Plan initial de la station de MOLAY
Plan définitif avec indication des propriétés concernées par l'implantation. S'y ajoute la réserve à charbon et la plaque tournante pour le retournement de la machine...
... le dortoir pour les machinistes y figure également.
Régis MULTON, de Molay, nous transmet cette anecdote sur les CFV qui conclura de manière humoristique ce trajet
"En tramway, de Lavoncourt à Morey"!
Patrick MATHIE
Mars 2017- Mai 2018